Objectifs pédagogiques

  • Devant l'apparition d'un trouble aigu de la parole ou d'une dysphonie, argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents.

Hiérarchisation des connaissances


 La voix est un son produit par les cordes vocales sous l'influence de l'air expiré. Lors de la phonation, les muscles qui composent les cordes vocales se rapprochent l'un de l'autre sous contrôle moteur du nerf laryngé inférieur (nerf récurrent), branche du nerf vague (X), puis l'air contenu dans les poumons est expulsé par la contraction des muscles abdominaux. Cet air fait vibrer de façon passive la muqueuse de recouvrement des cordes.

 Les dysarthries (trouble de l'articulation de la parole) des coordinations pneumophoniques et de la musculature intrinsèque du larynx provoquent des dégradations de la voix dénommées dysphonies.  Ces dysfonctionnements vocaux peuvent également être la conséquence de changements morphologiques de l'anatomie du larynx, essentiellement au niveau de la glotte, provoqués par des modifications de sa structure : génération d'un excès de tissus biologiques ou, à l'inverse, manques anatomiques provoqués par des gestes chirurgicaux.

I. Rappel anatomique et physiologique

A. Rappel anatomique

Le larynx est le premier élément des voies aériennes supérieures et est constitué de plu- sieurs pièces cartilagineuses (thyroïde, cricoïde, aryténoïde, épiglotte). Vers le haut, une lame ligamento-musculaire le relie à l'os hyoïde et à la base de langue, et, vers le bas, le cricoïde donne suite aux anneaux trachéaux.
De nombreux muscles et ligaments intrinsèques constituent un ensemble complexe dont le but est de permettre la mise en tension des cordes vocales (ou plis vocaux), leur abduction lors de la respiration et leur adduction lors de la phonation. La corde vocale est constituée du muscle thyro-aryténoïdien, recouvert du ligament vocal, lui-même doublé d'une muqueuse, dont la vibration produit le son laryngé au cours de la phonation. Entre le ligament et cette muqueuse, il existe un espace de glissement, ou espace de Reinke.
L'innervation du larynx est assurée par le nerf laryngé inférieur (nerf récurrent), qui a un rôle moteur, et le nerf laryngé supérieur, qui a un rôle sensitif (
figure 3.1).
Tout élément intervenant au niveau du muscle, de l'innervation, de la muqueuse ou du ligament vocal est susceptible d'entraîner une dysphonie.

B. Rappel physiologique

 La phonation est un phénomène complexe qui nécessite, de façon schématique, l'adduction des cordes vocales et le maintien d'une pression sous-glottique suffisante pour permettre à l'air de franchir cet obstacle et de provoquer une vibration de la muqueuse. Cette émission d'un son fondamental laryngé sera ensuite modulée au niveau des cavités sus-glottiques, buccales et sinusiennes ; le son ainsi enrichi donne la voix.

II. Démarche diagnostique

A. Éliminer ce qui n’est pas une dysphonie

Il s’agit le plus souvent :

  • d'une altération de la voix en rapport avec un défaut de capacité respiratoire, par exemple hypophonie au cours des insuffisances respiratoires aiguës ou chroniques ;
  • d'une atteinte des cavités de résonance, en général situées au niveau de l'oropharynx ; les rhinolalies ouvertes (hypernasalité correspondant à une fuite d'air par le nez) ou fermées (hyponasalité) sont classiquement un motif de confusion ;
  • d'un obstacle au niveau de la cavité buccale, tel que les tumeurs de la base de langue, de la partie haute de l'épiglotte ou de la région amygdalienne, et du voile du palais.

Ces anomalies sont facilement reconnues par l’examen clinique.

Fig. 3.1. Innervation du larynx.
(Source : CEN, 2019)

B. Interrogatoire

L'interrogatoire est capital et permet souvent d'orienter le diagnostic. Il recherche :

  • les antécédents laryngés, neurologiques, de chirurgie cervicale ou thoracique, d'une intubation, quelles que soient sa durée et son ancienneté ;
  • les circonstances d'apparition de cette dysphonie : brutale ou au contraire progressive, voire intermittente; l'interrogatoire permet également de rattacher le mode d'apparition aux antécédents;
  • la profession et les conditions de travail, le mode d'utilisation de la voix au cours de l'exercice professionnel; l'enseignant, l'avocat et le chanteur amateur ou professionnel sont exposés aux troubles fonctionnels de la voix ;
  • le tabagisme, son ancienneté et son importance ;
  • la présence de signes associés, tels que la dysphagie, la dyspnée, la toux ou l'otalgie; ils indiquent une lésion étendue au-delà des cordes vocales.

C. Examen clinique

L'examen clinique comporte l'examen de la région cervicale à la recherche d'une cicatrice ou d'une tuméfaction, complété par la palpation du cou, des reliefs laryngés, du corps thyroïde et par la recherche d'un goitre ; il est complété par la recherche d'adénopathies cervicales. L'examen de la cavité buccale et du pharynx montre l'aspect inflammatoire ou non de la muqueuse et élimine toute anomalie morphologique des structures oropharyngées.

L'examen laryngoscopique est l'examen de base à réaliser devant une dysphonie dont 32 l'évolution n'est pas rapidement favorable. Il permet de visualiser le larynx et les cordes vocales à la recherche d'anomalies morphologiques et/ou de troubles de la mobilité :

  • La laryngoscopie indirecte :
    • elle est réalisée chez un patient assis, bouche ouverte, la main de l'examinateur tenant l'extrémité de la langue, alors que l'autre main utilise un miroir laryngé ou un système d'optique avec caméra vidéo,
    • elle permet d'obtenir une vue précise du larynx dans des conditions pratiquement normales, puisqu'il est demandé au patient de produire une phonation («é», «i»); seul cet examen chez un patient conscient permet d'obtenir des renseignements précis sur la mobilité du larynx et des cordes vocales,
    • lorsque cet examen est de réalisation difficile (réflexes nauséeux), l'utilisation d'un naso-fibroscope visualise le larynx mais avec une image moins précise, en particulier pour déceler les éventuelles anomalies de la muqueuse ;
  • La laryngoscopie directe :
    • elle est réalisée sous anesthésie générale,
    • elle correspond à une véritable endoscopie ORL utilisant des optiques et des spatules laryngées qui sont introduites dans le larynx et éventuellement maintenues immobiles à l’aide d’un appui thoracique ;
    • elle est réalisée lorsque l'on a noté, en laryngoscopie indirecte, la présence d'anomalies dont la nature impose un complément diagnostique (biopsie),
    • cet examen permet d'accéder au larynx par voie endoscopique pour effectuer des gestes thérapeutiques dont les indications dépendent de l'étiologie.

 L'examen neurologique complète l'examen morphologique, en particulier lorsqu'il s'agit d'une dysphonie avec cordes vocales normales. Il explore :

  • les nerfs mixtes :
    • paralysie du nerf glossopharyngien (IX) : dysphagie, signe du rideau (déplacement latéral vers le côté sain de la paroi postérieure du pharynx), hypoesthésie ou anesthésie du tiers postérieur de l'hémilangue, des parois latérale et postérieure du pharynx, abolition de la sensibilité gustative du tiers postérieur de l'hémilangue,
    • paralysie du nerf pneumogastrique (X) : la dysphonie par monoplégie laryngée est le signe dominant. La paralysie vélopharyngée doit être recherchée : régurgitation nasale, rhinolalie ouverte, déplacement du voile et de la luette vers le côté sain. Les signes sensitifs sont peu marqués : hypoesthésie ou hémianesthésie du pharynx et du voile sur une zone limitée. Les signes végétatifs respiratoires ou cardiaques sont difficiles à mettre en évidence dans une paralysie unilatérale,
    • paralysie du nerf accessoire (XI) : paralysie du sternocléidomastoïdien et du trapèze; l'atteinte du spinal interne se traduit par une paralysie vélopalatine ;
  • le nerf hypoglosse (XII) : paralysie d'une hémilangue : perte de la protraction ;
  • recherche des signes associés : syndrome cérébelleux, syndrome neurogène périphérique, atteinte sympathique, syndrome pyramidal, syndrome extrapyramidal.

D. Examens complémentaires

Des examens complémentaires sont réalisés lorsque, après laryngoscopie indirecte classique, la pathologie suspectée nécessite un complément d'investigation ou une évaluation précise des troubles liés à cette dysphonie.

1. Stroboscopie

Elle permet, par la décomposition du mouvement vibratoire des cordes vocales, de visualiser une anomalie localisée au niveau de la muqueuse de la corde vocale (synéchie, cicatrice fibreuse, tumeur débutante).

2. Électromyographie laryngée

Elle permet de confirmer les syndromes neurogènes périphériques (paralysie de corde vocale), de la jonction neuromusculaire (syndromes myasthéniques) et dystoniques (dysphonie spasmodique).

3. Examen phoniatrique

Il consiste, en plus de l'examen laryngoscopique, en la réalisation d'un enregistrement vocal et d'une étude des paramètres objectifs de la voix.

4. Imagerie

Le scanner ou l'IRM sont les deux examens utiles pour le diagnostic étiologique. Ils permettent une exploration régionale et un éventuel bilan d'extension en cas de suspicion de tumeur laryngée. L'indication d'une imagerie du système nerveux central, scanner ou mieux IRM, dépendra des conclusions de l'examen neurologique.

III. Principales étiologies

A. Dysphonie par atteinte du nerf pneumogastrique

1. Dans les paralysies unilatérales

La voix est typiquement soufflée ou bitonale ; la sémiologie associe une dysphonie importante et des fausses routes aux liquides en cas de paralysie en position latérale; la sémiologie est plus discrète sans fausse route en cas de paralysie en position médiane. À l'examen laryngo-scopique, la corde vocale du côté de l'atteinte est en adduction ou en position intermédiaire mais, surtout, elle est immobile, en particulier au cours de la phonation et de la respiration.

2. Dans les paralysies bilatérales

Le tableau initial est marqué par une aphonie totale et des fausses routes. Rapidement, la voix se normalise alors que s'installe une dyspnée inspiratoire ; l'examen laryngoscopique confirme l'immobilité des deux cordes vocales.

3. Examens paracliniques

En l'absence de circonstances évocatrices, proposer un scanner ou mieux une IRM explorant les régions depuis la base du crâne jusqu'au thorax. Une échographie cervicale explore la thyroïde si nécessaire. La laryngoscopie n'est pas systématique.

4. Principales causes

  • Néoplasies thyroïdiennes, œsophagiennes ou médiastinales.
  • Séquelles d'une chirurgie :
    • sur le trajet du nerf vague (neurochirurgie du tronc cérébral, chirurgie cervicale) ;
    • ou de ses branches récurentielles (chirurgie cervicale ou thoracique).
  • Idiopathique (20 % des cas), le plus souvent unilatérale : il s'agit d'un diagnostic d'élimination.
  • Causes neurologiques (moins de 5 % des cas) :
    • bulbaires par atteinte nucléaire ou radiculaire : accident vasculaire cérébral (syndrome de Wallenberg), sclérose latérale amyotrophique (enregistrement sonore 3.1), syringo-bulbie, tumorale;
    • par atteinte périphérique : syndrome de Guillain-Barré, sclérose latérale amyotrophique, neurinome.

B. Dysphonie par lésions laryngées

 On désigne sous ce terme les dysphonies consécutives aux changements anatomiques des structures impliquées dans la phonation, en particulier le larynx et les cordes vocales. Plusieurs situations cliniques peuvent être rencontrées.

1. Laryngites aiguës

  • Installation brutale lors d'une rhinopharyngite banale ou au décours d'un forçage vocal.
  • La voix est plus grave, avec des difficultés dans les aigus, rauque et peu timbrée ; elle peut disparaître totalement (aphonie). Elle est parfois associée à une dyspnée chez l'enfant.
  • À l'examen, les cordes vocales sont rouges, œdématiées, parfois recouvertes de sécrétions purulentes ou mucopurulentes.

2. Laryngites chroniques

  • Installation progressive d'une dysphonie (voix rauque, grave) souvent isolée. Le contexte évoque une irritation chronique du larynx (tabac, vapeurs toxiques, infections ORL répétées, reflux gastro-œsophagien, surmenage vocal).
  • À l'examen, on retrouve une laryngite chronique hypertrophique rouge (érythroplasie) ou une laryngite chronique hypertrophique blanche (leucoplasie).
  • Dans tous les cas, il s'agit de lésions suspectes nécessitant une laryngoscopie directe en sus- pension au microscope, sous anesthésie générale pour réaliser des biopsies et, si possible, une exérèse complète de la lésion.
  • En cas de biopsie simple avec un résultat rassurant comme une dysplasie (lésion précancéreuse), la surveillance doit être très étroite car le reste des lésions peut être en réalité un carcinome.
  • En cas d'exérèse, la surveillance doit également être étroite en raison du risque de récidive des lésions dysplasiques et du risque de transformation maligne.

3. Cancer du larynx

La suspicion de cancer doit être constante devant toute dysphonie durant plus de 3 semaines chez un homme d'âge mûr alcoolo-tabagique. Une laryngoscopie directe en suspension au microscope, sous anesthésie générale, pour réaliser des biopsies, doit être proposée au moindre doute lors de l'examen clinique. Parmi les situations suspectes, il faut citer le cas de patients non examinables du fait de leur réflexe nauséeux même si le cas est rare depuis la généralisation des fibroscopies naso-pharyngo-laryngées.

4. Lésions bénignes

a. Nodules des cordes vocales

Ces lésions blanchâtres symétriques, en regard l'une de l'autre, situées au niveau du tiers moyen des cordes, surviennent surtout chez les jeunes garçons qui crient beaucoup et chez les femmes qui forcent leur voix (enseignantes). La voix est plus grave, rauque, soufflée; son timbre est voilé, sourd et éraillé.

b. Polypes et œdèmes de Reinke

Ce sont des lésions plus inflammatoires, uni ou bilatérales, siégeant au niveau des deux tiers antérieurs des cordes vocales, liées à la conjonction du forçage vocal et souvent du tabac. Il s'agit, du fait du terrain, de lésions plus suspectes et une laryngoscopie directe est souvent proposée : elle permet à la fois le traitement microchirurgical et la certitude histologique.

c. Granulomes

Ces lésions inflammatoires siégeant au niveau du tiers postérieur des cordes vocales surviennent souvent après une intubation prolongée ou dans le cadre d'un reflux gastro-œsophagien; l'aspect fibroscopique rassurant explique que le traitement chirurgical est rarement proposé d'emblée, sauf dans le cas de lésions particulièrement suspectes. La rééducation orthophonique joue là un grand rôle.

d. Papillomatose laryngée

Il s'agit de lésions virales muriformes papillomateuses caractéristiques, étendues non seulement aux cordes vocales mais aussi parfois à la trachée, dues au papillomavirus. Le risque de dégénérescence maligne est rare mais les lésions peuvent finir par être dyspnéisantes et un traitement microchirurgical doit être proposé, surtout en cas de forme extensive. Le problème le plus fréquent est celui de la récidive des lésions.

e. Traumatismes

À part les traumatismes laryngés externes qui nécessitent une prise en charge spécifique, les plus importants changements anatomiques du larynx sont provoqués par des traumatismes chirurgicaux à la suite de l'ablation d'un cancer cordal.

C. Dysphonie et syndromes parkinsoniens

1. Syndromes parkinsoniens

a. Dans la maladie de Parkinson

Les troubles de la parole associent une dysphonie et une dysarthrie (enregistrement sonore 3.2). Cette dysphonie-dysarthrie touche les différents effecteurs de la chaîne parlée : la respiration, la phonation, les résonances, l'articulation et la prosodie.
Tous les signes parkinsoniens s'expriment au niveau de la sphère ORL et contribuent aux troubles de la voix et de la parole : principalement l'akinésie (de la langue, du larynx, des masséters) et l'hypertonie (du voile du palais, du larynx), mais aussi le tremblement (des lèvres, de la cavité buccale, de la langue, du pharynx et du larynx). Cliniquement, la hauteur de la voix est plus aiguë que la normale avec une diminution de la modulation de la fréquence fondamentale. Son intensité devient plus faible, notamment en fin de phrase, pouvant aller jusqu'au chuchotement à un stade évolué, rendant la parole inaudible. Le timbre de la voix est sourd et voilé (hypophonie), la raideur du voile du palais entraînant un nasonnement et un assourdissement de la voix.
L'évolution de ces troubles de la parole est variable au cours de la journée, de même que la sensibilité aux traitements dopaminergiques.

b. Dans les atrophies multisystématisées

La dysarthrie est précoce et fréquente, mixte, combinant l'hypophonie monotone et bégayante du syndrome parkinsonien au caractère scandé et irrégulier du syndrome cérébelleux. La dysphonie est retrouvée dans 96 % des cas.

2. Syndromes myasthéniques

 Typiquement intermittente, la dysphonie associée au syndrome myasthénique se caractérise par une voix qui s'éteint progressivement, devient nasonnée puis inintelligible.
Ces signes sont d'autant plus évocateurs qu'il existe un phénomène myasthénique dont le caractère essentiel est de s'accroître à l'occasion d'un effort. En pratique, la dysphonie apparaît ou s'aggrave avec la fatigue, disparaît ou s'atténue avec le repos. Son intensité peut être variable dans une même journée mais si elle est généralement plus marquée le soir.

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Compléments en ligne

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Enregistrement sonore 3.1. Dysarthrie paralytique au cours d'une sclérose latérale amyotrophique.

Enregistrement sonore 3.2. Dysarthrie parkinsonienne.