Il est habituel de distinguer :

  • les troubles subjectifs, c'est-à-dire ressentis par le malade et que seul l'interrogatoire permet de connaître (douleurs, paresthésies…)
  • les troubles dits objectifs que l'examen met en évidence.

Toutefois, certains énoncés (donc subjectifs) ont plus d'objectivité que certaines anomalies de l'examen des sensibilités (en principe objectives, mais qui, du fait du malade et aussi du médecin, comportent parfois une part importante de subjectivité).


I - Les symptômes. L'interrogatoire

Les troubles de la sensibilité, quels qu'ils soient, constituent un motif de consultation fréquent. L'interrogatoire va s'efforcer de faire préciser le trouble, sans suggérer et sans déformer le discours du patient ; pour ce faire, le mieux est de consigner ses déclarations en utilisant son vocabulaire. L'interprétation viendra dans un deuxième temps.

1. La douleur

On peut la considérer comme une réponse anormale du système nerveux à un stimulus excessif qui met en œuvre des récepteurs spécifiques, les nocicepteurs.
Il s'agit d'un phénomène subjectif, individuel et donc différent pour chacun.
L'interrogatoire va s'efforcer de faire préciser les différents caractères de la douleur :

  • Sa topographie (un point, une zone, un trajet…)
  • Ses irradiations (parfois à distance, douleurs projetées… )
  • Sa qualité : le malade compare sa douleur à des sensations qu'il pense connues de son interlocuteur ; cette description est bien sûr fonction de la personnalité du patient, de sa culture, de son vocabulaire. Quelques adjectifs médicaux qualifient la douleur : pulsatile (douleur battante), causalgique (brûlure car « kausis » signifie brûlure en grec)térébrante (broiement ; en fait « terebrare » signifie en latin : percer avec une vrille). Mais il y a aussi des douleurs comparées à un coup de poignard ou à une décharge électrique.
    Causalgie 
  • Son intensité : rien n'est plus difficile à quantifier qu'un phénomène subjectif. Pourtant son évaluation est importante pour juger de l'urgence de la prise en charge thérapeutique et de l'efficacité de celle-ci. La douleur intense (hyperalgique), quelle que soit la cause, est toujours une urgence. Les échelles verbales, numériques ou visuelles analogiques (EVA : Echelle Visuelle Analogique permettant un chiffrage de 1 à 10) sont utiles en urgence, dans les douleurs aigues. Dans les douleurs chroniques, de nombreuses échelles ont été proposées, mais c'est surtout par le retentissement de la douleur sur les activités professionnelles et de loisir, et sur l'humeur ou plus généralement le comportement, que l'intensité peut être approchée.
  • Son évolution dans le temps :
    L'ancienneté, le rythme diurne ou nocturne, le caractère permanent ou paroxystique (+/- période réfractaire), l'évolution dans le temps d'une douleur, une éventuelle périodicité dans l'année, un horaire particulier, doivent être précisé.
  • Ses circonstances d'apparition ainsi que les facteurs déclenchants ou majorants (décubitus, lever, efforts, marche…) sont importants à faire préciser.
  • Ses conditions de soulagement : (positions, médicaments et la posologie, autres thérapeutiques antalgiques)
  • Son contexte biographique (conjugal, familial, professionnel, psychique) est toujours important à considérer.

2. Paresthésies et dysesthésies

Dysesthésies 

Les paresthésies sont des sensations anormales mais pas réellement douloureuses et habituellement non motivées par un stimulus extérieur. Le malade parle de fourmillements, de picotements, de courants d'air, de peau cartonnée, d'impressions d'eau chaude ou froide…Les paresthésies peuvent être déclenchées dans certaines conditions, comme les fourmis des jambes croisées, ou être majorées par le contact de la zone paresthésique.

Les dysesthésies sont des sensations anormales provoquées par un stimulus ou le contact. Elles peuvent être plus ou moins pénibles, ou franchement douloureuses.

3. Cenestopathies et psychalgies

Psychalgies

Il s'agit de perceptions douloureuses ou de sensations de gêne, éventuellement localisées à un organe, sans explication pathologique objectivable. La topographie en est souvent vague, la qualité imprécise, la description prolixe et imagée ; enfin le déclenchement obéit souvent à des facteurs psychoaffectifs.
On les observe chez le déprimé (avec sentiment de dévalorisation), chez l'anxieux (qui présente parfois des manifestations végétatives), chez l'hypochondriaque ou chez l'hystérique (voir le chapitre Troubles somatomorphes).

II - Examen clinique de la sensibilité

Il requiert du temps et de la patience ; il doit être répété si besoin ; ses résultats sont consignés sur un schéma corporel (recto/verso) comportant le nom du malade, celui de l'examinateur et la date de l'examen.
L'examen est conduit de façon comparative entre le côté droit et le coté gauche
Les troubles peuvent être complets (anesthésie)
Anesthésie 
ou partiels (hypoesthésie) ; il est plus rare de provoquer une sensation exagérée (hyperesthésie).

1. Sensibilité superficielle

On examine successivement (et non pas simultanément) :

  • la sensibilité au tact au doigt ou à l'aide d'un coton qu'on promène sur la peau.
  • la sensibilité à la douleur avec une épingle et la sensibilité thermique en utilisant des tubes remplis d'eau chaude et de glace fondue.

2. Sensibilité profonde (ou proprioceptive ou encore arthrokinétique)

On explore

  • La station debout, pieds joints, yeux fermés. Un signe de Romberg proprioceptif peut apparaître en cas de déficit (l'axe du corps oscille en tous sens)
    Signe de Romberg proprioceptif 
  • le sens de position d'un segment de membre, le malade ayant les yeux fermés : on recherche des erreurs au sens de position du gros orteil (S.P.G.O.)ou du pouce, lors de l'épreuve de préhension aveugle du pouce.
    Trouble proprioceptif des mains 
    Trouble de la préhension aveugle du pouce 
  • le sens vibratoire (pallesthésie) à l'aide d'un diapason posé sur les surfaces osseuses sous-cutanées (bord antérieur du tibia, chevilles, styloïdes).

3. Sensibilités élaborées

  • On peut rechercher une extinction sensitive
    Extinction sensitive 
    (en l'absence d'anesthésie), en stimulant simultanément deux points symétriques, le malade ayant les yeux fermés : en cas d'extinction, une seule stimulation est perçue.
  • On peut aussi demander au malade d'identifier divers objets par la palpation aveugle pour rechercher une astéréognosie (en l'absence d'anesthésie et de déficit moteur pouvant gêner la palpation).

III - Les formes topographiques

1. Les lésions du système nerveux périphérique (voir aussi Syndromes topographiques périphériques)

Il importe de distinguer les atteintes radiculaires d'une part, les atteintes tronculaires d'autre part, de préciser si l'atteinte est unique ou diffuse : pour ce faire, la topographie des troubles (trajet systématisé à un tronc nerveux ou à une racine) importe plus que la qualité de la douleur. Les circonstances de déclenchement de la douleur peuvent aussi orienter le diagnostic de niveau. C'est ainsi que la palpation, la pression ou par percussion (signe de Tinel) peut évoquer une douleur sur le trajet du tronc nerveux. A l'inverse, le déclenchement de la radiculalgie est souvent le fait des efforts (toux, éternuement) ou des mouvements du rachis ou encore des manœuvres d'élongation d'une racine (signe de Lasègue par exemple). L'atteinte distale des deux membres inférieurs est en faveur d'une polyneuropathie longueur-dépendante.

2. Les lésions médullaires

Il est rare que tous les cordons de la moelle soient atteints simultanément, sauf en cas de section ou de compression avancée. Selon l'atteinte cordonale prédominante, on distingue :

  • le syndrome cordonal postérieur
    Il associe des douleurs en éclair le long du rachis et/ou des membres (signe de Lhermitte )
    Signe de Lhermitte 
    que déclenchent les mouvements brusques de la tête, des paresthésies, ou des impressions (dites cordonales)
    Impressions cordonales postérieures 
    telles qu'un épaississement d'un segment de membre, de double peau, d'étau, de semelle ou de « tapis épais » sous les pieds, d'écoulement liquidien, ou encore de douleurs projetées (sciatiques cordonales par exemple). L'examen met en évidence des troubles du sens de position du gros orteil et de la sensibilité vibratoire ; parfois le malade a une démarche talonnante et s'avère incapable de conserver son équilibre au garde à vous, yeux fermés (signe de Romberg proprioceptif).
  • le syndrome spinothalamique
    Il comporte des douleurs à caractère thermique (brûlures ou engelures) souvent particulièrement pénibles.
    L'examen met en évidence typiquement une hyperpathie : la piqûre par une épingle est perçue avec retard, elle diffuse sur une zone plus ou moins étendue, et elle est perçue comme une brûlure.
  • le syndrome syringomyélique
    Il résulte d'un processus de cavitation centromédullaire (syrinx : flute, myélie : moelle) : il peut s'agir d'une cavité liquidienne (hydromyélie) ou d'une tumeur (épendymome). Le résultat est l'interruption de la décussation des deutoneurones de la sensibilité à la douleur, au chaud et au froid sur une hauteur de plusieurs métamères. Le trouble réalise une anesthésie thermo-algique suspendue et dissociée (puisque le tact est conservé).
  • le syndrome de Brown-Séquard
    On l'observe dans les compressions latérales de la moelle et associe :

    • un syndrome déficitaire pyramidal du côté de la compression
    • une syndrome cordonal postérieur du côté de la compression
    • une anesthésie thermo-algique du côté opposé à la compression

3. Les lésions du tronc cérébral

Les lésions vasculaires unilatérales peuvent réaliser un syndrome alterne sensitif (syndrome de Wallenberg : voir Les syndromes du tronc cérébral)

4. Les lésions thalamiques

Elles entraînent des douleurs permanentes controlatérales créant un fond douloureux que viennent renforcer des paroxysmes déclenchés par le frottement des draps ou des vêtements (hyperesthésie), les variations de température, les bruits, les émotions. L'examen montre une hyperpathie (cf supra). Paradoxalement, il existe une hypoesthésie de l'hémicorps du côté hyperpathique.

5. Les lésions du lobe pariétal

Ces lésions sont corticales et sous-corticales. Elles peuvent entraîner des troubles de la sensibilité profonde (erreurs au S.P.G.O., astéréognosie du côté opposé) et discriminative (extinction sensitive) plus souvent que des troubles des sensibilités élémentaires (chaud, froid, douleur).