Une femme de 57 ans aux antécédents de tabagisme actif et d’emphysème pulmonaire vous est adressée pour l’apparition brutale de troubles phasiques associés à une cervicalgie intense il y a 24 heures.

Danseuse de salon occasionnelle, elle rapporte avoir assisté à un cours particulièrement dynamique la veille.

L’examen clinique retrouve une aphasie non fluente associée à une discrète hémiparésie brachio faciale droite. Le score NIHSS est évalué à 4.

Les résultats de l’IRM cérébrale et de l’angioscanner des troncs supra aortiques vous sont présentés ci dessous.

Qu’en pensez-vous ? Quel diagnostic étiologique retenez-vous ?

IRM cérébrale avec séquence de diffusion (A) et T1 FAT-SAT (B) Angioscanner des TSA en coupe axiale (C) et sagittale (D)

Il s’agit d’un infarctus cérébral sylvien superficiel gauche secondaire à une dissection de l’artère carotide interne gauche sous pétreuse au contact d’une apophyse styloïde trop longue (correspondant à un « syndrome d’Eagle »).

En effet, l’IRM cérébrale retrouve la présence d’un hypersignal diffusion intéressant le territoire sylvien superficiel gauche en faveur d’un infarctus cérébral récent (A). La séquence T1 FAT-SAT montre un hématome de paroi au niveau de l’artère carotide interne gauche sous pétreuse correspondant à une dissection aigue (B). L’angioscanner des TSA en coupe axiale retrouve une apophyse styloïde gauche venant au contact direct de l’artère carotide interne gauche disséquée (C). L’empreinte de l’apophyse styloïde gauche sur l’artère carotide interne est bien visible sur les coupes axiales et sagittales (C, D).

Les dissections carotidiennes représentent une cause importante d’infarctus cérébral du sujet jeune. On les classe classiquement en « spontanées» ou « traumatiques» même si le traumatisme en question est parfois minime (1).

Toutefois la dissection peut aussi être favorisée par la survenue de microtraumatismes répétés en raison de la proximité entre une artère et une structure osseuse de voisinage. L’apophyse styloïde est une structure osseuse qui se projette inférieurement, antérieurement et médialement à partir de la surface inférieure de l’os temporal. Sa longueur normale est inférieure à 25 mm.

Une apophyse styloïde trop longue est retrouvée chez environ 4% des individus notamment en cas de calcifications du ligament stylo hyoïde et peut, dans certains cas dépasser 75 mm (2).

Le syndrome d’Eagle porte le nom de celui l’ayant décrit pour la 1ère fois en 1937 et regroupe deux présentations cliniques distinctes. Le syndrome classique qui correspond à l’ensemble des symptômes ORL en lien avec la présence d’une apophyse styloïde trop longue (douleur orophrayngée unilatérale irradiant vers l’oreille, irritation mécanique de certaines paires crâniennes notamment le nerf glossopharyngien).

Le syndrome d’Eagle vasculaire qui survient lorsque l’apophyse styloïde trop longue comprime l’artère carotide interne ou externe avec laquelle elle est en contact, favorisant ainsi la survenue de phénomènes hémodynamiques ou de dissections artérielles (3). Chez notre patient l’apophyse styloïde gauche est mesurée à 33 mm.

Un syndrome d’Eagle vasculaire peut aussi être occasionné par une apophyse styloïde de taille normale mais dont l’angulation particulière la met en contact avec l’artère carotide interne, en particulier lorsque la tête du patient n’est pas en position neutre (4). La réalisation de clichés dynamiques est alors particulièrement utile.

Le traitement n’est pas clairement codifié mais une styloidectomie unilatérale peut se discuter dans certains cas.

Les reconstructions 3D à partir de l’angioscanner des TSA confirment la présence d’une apophyse styloïde gauche trop longue venant en contact et comprimant l’artère carotide interne ipsilatérale.

1. Schievink WI. Spontaneous dissection of the carotid and vertebral arteries. N Engl J Med 2001 ; 344 :898-906

2. Eagle WW : Elongated styloid process : symptoms and treatment. AMA Arch Otolaryngol 67 : 172-176, 1958

3. Eagle WW : Symptomatic elongated styloid process : report of two cases of styloid process-carotid artery syndrome with operation. Arch Otolaryngol 49 :490-503, 1949

4. Chuang WC, Short JH, Mc Kinney AM et al. Reversible left hemispheric ischemia secondary to carotid compression in Eagle syndrom :surgical and CT angiographic correlation.