Béatrice Garcin et Julie Mazoyer
La ponction lombaire (PL) est un geste consistant à prélever du liquide cérébrospinal (LCS, aussi appelé anciennement liquide céphalorachidien ou LCR) dans l’espace subarachnoïdien par une ponction dans le dos, entre deux vertèbres. Il s’agit d’un examen de pratique courante, que tout médecin peut être amené à réaliser. Le risque d’échec et de survenue d’effets indésirables peut être diminué par la bonne connaissance de l’anatomie, des techniques de réalisation de la ponction, des contre-indications, et par la formation et l’expérience.
Rappels anatomiques et physiologiques
Le rachis humain est composé de 7 vertèbres cervicales, 12 thoraciques, 5 lombales (ou lombaires), 5 sacrales (ou sacrées) et 4 coccygiennes (figure 17.1). Le canal spinal, à l’intérieur du rachis, contient la moelle spinale protégée par les méninges (3 feuillets). La moelle spinale s’arrête au niveau lombaire (L1 ou L2).

Figure 17.1
Dos et rachis.
A. Anatomie de surface. B. Squelette axial. 1. Vertèbre atlas. 2. Vertèbre axis. 3. Vertèbres cervicales, lordose 4. Coccyx. 5. Vertèbres lombales (lombaires). 6. Sacrum. 7. Vertèbres thoraciques.
Source : Duparc F, Dupont S, Montaudon M. Manuel d’anatomie descriptive, fonctionnelle et clinique. Paris : Elsevier-Masson ; 2022. © Abrahams 2014.
Les méninges sont constituées de trois feuillets qui sont de la superficie à la profondeur : la dure-mère, collée à l’os, l’arachnoïde, qui constitue la couche moyenne, et la pie-mère, recouvrant directement le cerveau. La dure-mère est la membrane la plus épaisse. L’arachnoïde est la membrane la plus délicate. La pie-mère recouvre directement la moelle spinale. On distingue trois espaces (figure 17.2) :
- l’espace extradural (ou épidural), situé entre le ligament jaune interépineux et la dure-mère. Lorsqu’un médicament est administré dans cet espace, on parle de voie épidurale ou péridurale ;
- l’espace subdural (ou sous-dural), situé entre la dure-mère et l’arachnoïde ;
- l’espace subarachnoïdien (ou sous-arachnoïdien), situé entre l’arachnoïde et la pie-mère, il contient le liquide cérébrospinal.

Figure 17.2
Organisation des méninges et des espaces.
Source : Duparc F, Dupont S, Montaudon M. Manuel d’anatomie descriptive, fonctionnelle et clinique. Paris : Elsevier-Masson ; 2022. © Drake 2015.
Le volume de LCS est en moyenne de 150 mL, dont 25 mL dans les ventricules et 125 mL dans les espaces subarachnoïdiens. La sécrétion du liquide se fait surtout au niveau des plexus choroïdes des ventricules encéphaliques, et la résorption dans le système veineux est surtout assurée par les granulations arachnoïdiennes (ou de Pacchioni). Le LCS se renouvelle environ 3 fois par 24 heures, ce qui signifie qu’on en « fabrique » 450 à 500 mL/j. Ainsi, le liquide prélevé lors de la PL est très rapidement remplacé.
Matériel nécessaire
Type d’aiguille
Quelle que soit l’indication, Il est recommandé de réaliser la ponction avec une aiguille dite « atraumatique » (figure 17.3). Il s’agit d’une aiguille à pointe conique non tranchante, avec un orifice latéral, d’un diamètre maximal de 22 Gauge (code couleur noir), avec l’introducteur fourni avec l’aiguille pour franchir la peau. Ces aiguilles atraumatiques entraînent moins de risques de complications (cf. infra) que les aiguilles classiques « traumatiques » à pointe biseautée. Les aiguilles traumatiques ne doivent être utilisées qu’exceptionnellement (patient agité, aiguille atraumatique non disponible), avec un diamètre 20 Gauge maximum (code couleur jaune).

Figure 17.3
Aiguilles pour ponction lombaire.
© Zetlaoui PJ. Ponction lombaire. EMC Neurologie 2020 : 1-12 [Article 17-023-A-91].
Autres éléments du plateau
- Champ stérile, compresses stériles
- Antiseptique alcoolique
- Masque chirurgical, gants stériles, charlotte
- Tubes à PL stériles (nombre en fonction de l’indication)
- Container pour déchets contaminés tranchants
- Pansement
D’autres éléments spécifiques peuvent être ajoutés selon l’indication de la PL tels que le produit à injecter (anesthésique, chimiothérapie) ou le matériel pour mesurer la pression du LCS.
Réalisation
La PL est réalisée dans un cadre hospitalier. Elle nécessite la présence au moins d’une aide, l’opérateur devant rester en conditions stériles. En cas de difficulté, la PL peut être réalisée sous imagerie (radioscopie).
Information au patient/consentement
Il est important d’expliquer le geste, son indication, et les potentiels effets indésirables. Il faut souvent rassurer le patient sur la réalisation de ce geste qui a de fausses réputations (« peut paralyser », « c’est extrêmement douloureux »). Le consentement éclairé oral du patient est indispensable à obtenir avant la réalisation (sauf dans le cas d’un patient n’étant pas en mesure de le donner, en situation de coma ou de confusion aiguë par exemple).
Anesthésie
La pose d’un patch d’anesthésie locale (lidocaïne/prilocaïne) peut être proposée en dehors de l’urgence (délai d’action d’une heure). Une anesthésie locale peut être envisagée en prévision d’une ponction difficile (injection sous-cutanée de lidocaïne).
En cas d’anxiété, l’administration d’un anxiolytique en prémédication ou d’un mélange gazeux de protoxyde d’azote et d’oxygène à l’aide d’un masque nasobuccal pendant le geste peut être proposée.
Installation
Il s’agit d’une étape essentielle, dont dépend la réussite du geste. Le lit doit être à une hauteur confortable pour l’opérateur et complètement à plat.
Deux positions sont possibles :
- position assise : le patient est assis au bord du lit, les pieds posés sur une chaise, et fait le « dos rond ». Il a les bras enroulés autour du coussin, ou croisés sur le ventre. Les hanches du patient doivent être parallèles au plan du lit pour l’alignement du rachis et une meilleure réussite de la ponction ;
- décubitus latéral : le patient est allongé sur le côté, le dos arrondi, les genoux et les hanches fléchis autant que possible, en position fœtale.
Le choix de la position allongée ou assise dépend du patient (état clinique, préférence) et de l’indication (la mesure de pression se fait en position allongée). Dans les deux cas, la flexion de hanches est l’élément principal pour optimiser l’ouverture de l’espace interépineux pour permettre le passage de l’aiguille, tout en tirant la moelle spinale vers le haut.
Détermination du point de ponction
Les niveaux de ponction préférentiels sont l’espace L3-L4 ou L4-L5, mais l’espace L5-S1 est également possible. Une fois le patient en place, on palpe les bords supérieurs des crêtes iliaques ; une ligne imaginaire tracée entre les deux crêtes passe par le processus épineux de L4 ou l’espace L3-L4 (selon les auteurs et les patients). La ponction est réalisée entre les deux processus épineux (figure 17.4).

Figure 17.4
Repères anatomiques et position du patient pour la réalisation
d’une ponction lombaire en position assise et en position couchée.
© Cossus J, Capellier G, Desmettre T. Méningite infectieuse aiguë de l’adulte : prise en charge initiale. EMC Médecine d’urgence 2017 : 1-14 [Article 25-110-C-20].
Asepsie (d’après l’HAS – Haute autorité de santé)
Les règles d’asepsie chirurgicale doivent être absolument respectées :
- pour le patient : désinfection cutanée en deux temps (dont un temps en conditions stériles) avec un antiseptique (antiseptique alcoolique) et utilisation d’un champ stérile ;
- pour le médecin : friction des mains (solution hydroalcoolique), charlotte, masque facial et gants stériles.
Prise de pression du LCS
En cas de suspicion d’un trouble de la cinétique du LCS (hydrocéphalie à pression normale ou hypertension intracrânienne idiopathique), le prélèvement est précédé par une mesure de pression du LCS. Elle est réalisée en position allongée, mesurée soit par un manomètre, soit à l’aide d’une tubulure, en levant la tubulure vers le haut et en mesurant la hauteur à laquelle le LCS remonte dans la tubulure. La pression normale est entre 50 et 200 mmH2O. La pression est augmentée en cas d’hypertension intracrânienne.
Prélèvement
La PL est un geste invasif nécessitant une bonne connaissance de l’anatomie, mais également de la pratique du geste. La formation pratique à la PL par simulation est recommandée.
- Piqûre d’abord avec l’introducteur, puis avec l’aiguille.
- Réintroduction complète du mandrin dans l’aiguille avant de la retirer.
- Volume prélevé : l’incidence des syndromes post-PL immédiats augmente pour un volume prélevé > 30 mL.
Contre-indications
Hypertension intracrânienne ou signe de localisation
Attention
Le risque est l’engagement (par traction des méninges liée à l’hypotension du LCS).
Tout signe de localisation neurologique, crise épileptique partielle ou généralisée, ou symptomatologie en faveur d’une hypertension intracrânienne nécessite la réalisation d’une imagerie cérébrale avant la PL à la recherche de :
- processus expansif intracrânien ;
- malformation d’Arnold-Chiari.
Troubles de l’hémostase
Attention
Le risque est l’hématome péridural ou subarachnoïdien.
Ainsi, la PL est contre-indiquée en cas de :
- thrombopénie sévère : taux de plaquettes < 50 G/L (50 000/mm3 de sang). Pour certaines pathologies (thrombopénie gestationnelle, purpura thrombopénique immunologique), une thrombopénie stable ≥ 30 G/L peut être tolérée. À l’inverse, une thrombopénie évolutive non stabilisée nécessite l’évaluation pluridisciplinaire du rapport bénéfice/risque ;
- trouble de la coagulation congénital ou acquis :
- TCA (temps de céphaline activée) > 1,5,
- TP (taux de prothrombine) < 50 % ;
- traitement anticoagulant/modifiant l’hémostase : anticoagulant, antiagrégant plaquettaire (sauf aspirine et AINS – anti-inflammatoires non stéroïdiens).
Refus du patient
Il est à pondérer en fonction du contexte, notamment en fonction de la capacité du patient à consentir (ex : confusion fébrile).
Complications et surveillance
Pendant le geste
Douleur pendant le geste
Le patient peut ressentir une douleur irradiante de type décharge électrique dans la jambe, témoignant que l’aiguille est un peu latérale dans l’espace subarachnoïdien, et à proximité des racines nerveuses (sans gravité, pas de lésion nerveuse).
Malaise vagal
Il nécessite l’alitement du patient.
Présence de sang dans le LCS
Si la PL est traumatique, on observe une coloration rouge vif ou rosée du LCS initiale qui s’estompe au fur et à mesure jusqu’à ce que le liquide devienne clair. Au contraire, la coloration reste rosée, inchangée dans tous les tubes en cas d’hémorragie méningée.
Il n’y a pas de conséquence d’une PL traumatique pour le patient, mais l’interprétation biologique des résultats peut être biaisée
Après le geste
Syndrome post-PL
Secondaire à la création d’une brèche et donc à la persistance d’une fuite de LCS qui entraîne une hypotension dans le LCS, il est caractérisé par des céphalées à l’orthostatisme, d’apparition progressive dans les 5 jours suivant le geste, pouvant être accompagnées de sensations vertigineuses, nausées/vomissements, acouphènes, douleurs de nuque, photophobie, cédant au décubitus dorsal.
C’est l’effet indésirable le plus fréquent mais sa fréquence a diminué avec l’utilisation des aiguilles atraumatiques (< 10 versus 50 % avec les aiguilles traumatiques). Les autres mesures de prévention sont l’utilisation du diamètre d’aiguille le plus petit possible (20 ou 22 G), la réintroduction du mandrin avant retrait de l’aiguille, l’orientation de l’ouverture du biseau sur le côté d'utilisation (exceptionnelle) de l’aiguille traumatique, un volume prélevé inférieur à 30 mL. L’alitement post-PL et l’hydratation importante après la PL sont encore très souvent mis en œuvre en pratique (même si leur effet préventif est discuté).
Le syndrome post-PL peut se compliquer, rarement, d’hématomes subduraux, et de thromboses veineuses cérébrales.
La guérison est spontanée en 48 heures, avec repos et antalgiques de palier 1 ou 2 ; la persistance des symptômes requiert l’utilisation d’un blood-patch (encadré 17.1).
Encadré 17.1 Blood-patch
C’est l’injection de sang autologue (du patient lui-même) dans l’espace péridural pour colmater la brèche méningée. Il s’agit du traitement le plus efficace en cas de non-guérison spontanée du syndrome post-PL dans les 48 à 72 heures. Il doit être réalisé dans des conditions d’asepsie chirurgicale, par un médecin expérimenté (anesthésiste) ; et un temps de surveillance et de décubitus pour le patient d’au moins 2 heures (idéalement 24 heures) est requis.
Douleurs lombaires post-PL
Bénignes, elles cèdent en quelques jours.
Hématome péridural ou subarachnoïdien
Ils peuvent se manifester par une douleur lombaire, radiculaire, et un déficit avec syndrome de la queue de cheval. Il s’agit d’une complication exceptionnelle, presque toujours liée à la présence d’un ou plusieurs facteurs de risque (traitement anticoagulant ou antiplaquettaire, trouble congénital ou acquis de la coagulation ou de l’hémostase primaire, ponction difficile sur un rachis pathologique).
Infection post-PL
Exceptionnelle, elle est prévenue efficacement par les mesures d’asepsie.
Analyse du LCS
Aspect macroscopique
L’inspection se fait lors de la réalisation de la PL :
- l’aspect normal est limpide dit « eau de roche » ;
- l’aspect est rouge avec éclaircissement rapide dans le cadre d’une PL traumatique ;
- l’aspect est rosé dans tous les tubes en cas d’hémorragie méningée ;
- l’aspect est trouble, voire purulent en cas de méningite bactérienne.
Analyse cytologique (réalisée par le laboratoire de bactériologie)
Il s’agit de la recherche de cellules, notamment d’hématies et de leucocytes, et rarement de cellules cancéreuses :
- normalement absents du LCS (< 5/mm3) ;
- leucocytes entre 5 et 10/mm3 : douteux, à contrôler ;
- leucocytes > 10/mm3 : on parle de méningite. L’orientation diagnostique (inflammatoire, infectieuse, etc.) dépend alors du contexte et de la formule : plutôt virale si à prédominance lymphocytaire, et bactérienne si à prédominance de polynucléaires neutrophiles.
Analyse biochimique (réalisée par le laboratoire de biochimie)
- Protéinorachie normale < 0,5 g/L, douteuse entre 0,5 et 1 g/L. Une augmentation de la protéinorachie est évocatrice d’une méningite (aspécifique, peut-être infectieuse, carcinomateuse, inflammatoire, etc.).
- Glycorachie : doit être ≥ 0,5 × la glycémie prélevée au moment de la ponction lombaire.
Analyse microbiologique (réalisée par le laboratoire de bactériologie)
Elle comporte un examen direct avec coloration de Gram, mise en culture et antibiogramme systématique en cas de culture positive. Ces analyses sont normalement négatives, le LCS étant stérile.
Indications diagnostiques et principales anomalies recherchées
On réalise une PL dans de nombreuses situations pathologiques, dans un contexte d’urgence ou dans le cadre d’un bilan réglé, notamment dans les cas suivants :
- méningite infectieuse : bactérienne, virale, parasitaire, fongique : à évoquer devant tout syndrome méningé. En plus de l’analyse de l’aspect, des cellules et de la biochimie, on recherche certains pathogènes par PCR (polymerase chain reaction) ;
- méningite carcinomateuse ;
- hémorragie méningée : à évoquer devant une céphalée brutale, en coup de tonnerre ;
- maladies inflammatoires affectant le SNC (demande d’une électrophorèse des protéines du LCS et recherche de bandes oligoclonales) ;
- encéphalite auto-immune ou syndrome paranéoplasique (recherche d’anticorps antineuronaux) ;
- polyradiculonévrite aiguë ou chronique, bilan de certaines neuropathies périphériques ;
- syndromes démentiels atypiques par la symptomatologie et/ou le mode d’installation (maladie d’Alzheimer) ;
- biomarqueurs de maladie d’Alzheimer : les protéines dosées sont :
- la protéine tau (dont l’élévation non spécifique reflète la mort neuronale), et la protéine tau phosphorylée qui est augmentée en cas de maladie d’Alzheimer),
- la protéine bêta-amyloïde (peptide Aβ1-42 diminuée dans la maladie d’Alzheimer) ;
- troubles de la cinétique du LCS (hydrocéphalie à pression normale, hypertension intracrânienne idiopathique) pour mesure de pression et/ou évacuation du LCS.
Indications à visée thérapeutique
- PL évacuatrice en cas de troubles de la cinétique du LCS en l’absence d’obstacle.
- Anesthésie épidurale (rachianesthésie).
- Traitement par voie intrathécale (chimiothérapie).
Quelle que soit l’indication de la PL, la technique est la même.
- Un bilan d’hémostase (plaquettes, TP, TCA, vérification du traitement anticoagulant/antiagrégant) est nécessaire avant la réalisation d’une PL.
- Une imagerie préalable est pratiquée en cas de signe de localisation, épilepsie, ou suspicion d’hypertension intracrânienne.
- Une aiguille atraumatique, de taille ≤ 22 G, doit être utilisée pour éviter la survenue d’un syndrome post-PL.
- La ponction est réalisée au niveau de L3-L4 (repère crêtes iliaques) ou L4-L5, en conditions d’asepsie strictes.
Voir QRM chapitre 32.
Pour en savoir plus
HAS/SFAR. Prévention et prise en charge des effets indésirables pouvant survenir après une ponction lombaire. Fiche mémo, juin 2019.