Hugo Soulier , Laure Mazzola et Philippe Convers
En pratique médicale, l'étude fonctionnelle du système nerveux central repose sur deux types d'examens : l'électroencéphalogramme (EEG) et les potentiels évoqués (PE).
L'EEG est un examen permettant d'étudier l'activité électrique du cortex cérébral. Le signal électrique à la base de l'EEG est la résultante de la sommation des potentiels post-synaptiques synchrones issus d'un grand nombre de neurones du cortex. Cet examen permet ainsi d'étudier l'évolution dans le temps de l'activité électrique du cortex, en mesurant la différence de potentiel électrique enregistré par les électrodes placées sur le scalp. C'est l'équivalent de l'électrocardiogramme (ECG) pour le cœur.
Il s'agit avant tout d'un examen non invasif, facile à réaliser, y compris au lit du patient. Il n'existe aucune contre-indication d'ordre médical et il est dénué d'effet indésirable. Il permet un suivi rapproché des patients et apporte une vision fonctionnelle du système nerveux central. Du fait de sa très bonne résolution temporelle, c'est un examen complémentaire des examens d'imagerie morphologique (IRM et tomodensitométrie) et fait partie intégrante des examens diagnostiques et pronostiques en routine neurologique.
Les PE mesurent les modifications du signal électrique induites par des stimulations sensorielles ou par des processus cognitifs. Selon le type de stimulations, on retrouve ainsi les potentiels évoqués auditifs, visuels, somesthésiques, nociceptifs par stimulation laser, moteurs et cognitifs.
Électroencéphalogramme
Examen très largement utilisé en médecine, les indications de l'EEG sont multiples. Il permet le diagnostic syndromique et la prise en soins de patients épileptiques mais aussi d'aide à l'orientation diagnostique lors de syndromes confusionnels, troubles de vigilance ou troubles cognitifs d'étiologie indéterminée. Il est également utile en réanimation, à visée pronostique pour le réveil des comas, et à visée diagnostique pour les états de mort cérébrale. Enfin, il permet également d'étudier de manière précise le sommeil lors des polysomnographies, ou le suivi de la maturation cérébrale en néonatalogie et pédiatrie.
Électrodes
Les électrodes les plus utilisées en routine sont les électrodes dites conventionnelles monopodes, montées sur un casque, fait de lanières de caoutchouc, elles sont ainsi fixées sur la tête du patient. Plusieurs autres types d'électrodes existent, comme les électrodes cupules ou électrodes aiguilles mais utilisées dans des indications particulières.
Les électrodes sont disposées selon un système que l'on appelle le système « 10-20 ». On compte dans ce système un minimum de 21 électrodes dont 19 actives et une ou deux références (A1 et A2). On l'appelle « 10-20 » en rapport avec les distances qui séparent les différentes électrodes. La position des électrodes actives est ainsi déterminée par des mesures précises à partir de repères standards crâniens qui sont le nasion, l'inion et les points préauriculaires droit et gauche, situés à la racine du zygoma en avant du tragus (figure 18.1).

Figure 18.1
Localisation des électrodes sur le scalp, selon le système « 10–20 ».
Par convention, les électrodes hémisphériques droites portent un nombre pair, les électrodes hémisphériques gauches un nombre impair et celles sur la ligne médiane, la lettre z.
Le nom de l'électrode fait référence à sa position sur le scalp :
- Fp : frontopolaire ;
- F : frontale ;
- C : centrale ;
- P : pariétale ;
- O : occipitale ;
- T : temporale.
Exemple
L'électrode Fp2 est l'électrode frontopolaire droite.
Montages
Pour lire un EEG, on réalise un montage où chaque ligne (ou dérivation) correspond à la différence de potentiels électriques entre deux électrodes.
Différents types de montages peuvent être utilisés. Il en existe deux principaux (figure 18.2) :
- le montage monopolaire (référentiel) où l'on enregistre les différences de potentiels entre une électrode active et une électrode de référence (figure 18.2A) ;
- le montage bipolaire où l'on enregistre les différences de potentiels entre deux électrodes actives. On peut par exemple choisir un montage longitudinal (pour voir l'activité électrique cérébrale d'avant en arrière) (figures 18.2B et 18.4) ou transverse (pour voir l'activité de droite à gauche) (figure 18.2C)

Figure 18.2
Exemples de différents montages de lecture EEG utilisés.
De gauche à droite : monopolaire, longitudinal, transverse.
L'enregistrement d'une voie ECG concomitante de l'enregistrement EEG se fait de façon systématique. On peut également rajouter une ou plusieurs voies d'enregistrement : musculaire (EMG : électromyogramme) en cas de mouvements anormaux. Lors d'une évaluation du sommeil, on rajoute un EMG mentonnier enregistrant le tonus musculaire et un EOG (électro-oculogramme) pour les mouvements oculaires. On parle alors de polysomnographie permettant d'élaborer un hypnogramme, représentation graphique d'une nuit de sommeil (cf. figure 5.2). Des capteurs respiratoires peuvent compléter l'enregistrement polysomnographique permettant d'évaluer la respiration au cours du sommeil. On ajoute alors une canule nasale et une thermistance nasobuccale pour enregistrer le flux respiratoire, des sangles thoracique et abdominale pour évaluer les efforts respiratoires et une saturation en oxygène.
L'interprétation d'un EEG est électroclinique, ainsi un enregistrement vidéo est aujourd'hui quasiment systématiquement couplé à l'examen. L'indication de l'EEG conditionne son mode d'enregistrement, on peut ainsi réaliser des EEG dits « de routine » au laboratoire, mais parfois également en ambulatoire, on parle alors d'Holter EEG. Enfin dans certains cas plus rares, ils peuvent être réalisés en service de neurologie spécialisé, sur plusieurs jours, dans le cadre de bilans préchirurgicaux d'épilepsies pharmacorésistantes par exemple.
Activité électrique cérébrale
Les différents rythmes générés portent des noms en fonction de leur fréquence (nombre d'oscillations en 1 seconde) (figure 18.3) :
- delta (< 3,5 Hz) ;
- thêta (4-7,5 Hz) ;
- alpha (8-13 Hz) ;
- bêta (14-30 Hz) ;
- gamma (> 30 Hz).

Figure 18.3
Les différents rythmes cérébraux enregistrés à l'EEG et quelques exemples de grapho-éléments surajoutés.
La séquence des lettres grecques n'est pas logique mais historique en fonction de la chronologie de leur description, le rythme alpha ayant été décrit le premier par Berger en 1929.
L'analyse d'un EEG repose sur plusieurs paramètres : la fréquence et l'amplitude des rythmes dominants d'une part, et la présence de graphoéléments surajoutés d'autre part (qui peuvent être isolés, périodiques, pseudo-périodiques, rythmiques, etc.).
Rythme de fond
Le rythme de fond alpha est le rythme EEG de fond observé chez le sujet sain pendant la veille. Il est constitué d'ondes régulières dont la fréquence est comprise dans la bande de fréquence alpha (8-13 Hz) avec une amplitude de 25 à 100 mV et un aspect sinusoïdal. Ce rythme est prédominant dans les régions occipitales bilatérales et disparaît à l'ouverture des yeux (figure 18.4).

Figure 18.4
Rythme de fond alpha normal, spatialisé dans les régions postérieures et réactif à l'ouverture des yeux.
Graphoéléments surajoutés
À ces rythmes plus ou moins stables peuvent se superposer des graphoéléments transitoires, isolés ou répétitifs, soit normaux (les fuseaux ou les complexes K qui sont des graphoéléments physiologiques du sommeil, cf. figure 5.1), soit pathologiques (les pointes, pointes-ondes épileptiques ou encore les complexes triphasiques), voire parfois artefactuels (signal ECG capté par les électrodes, artefacts musculaires, etc.) (cf. figure 18.3).
Les graphoéléments paroxystiques sont des éléments qui se détachent nettement de l'activité de fond du fait de leur caractère abrupt et/ou de leur amplitude. Ils peuvent apparaître isolément ou groupés en bouffées, ou s'organiser en décharges électriques. Les anomalies paroxystiques que l'on voit le plus fréquemment dans l'épilepsie sont la pointe (définie comme un graphoélément de 20 à 70 ms) et la pointe-onde ou polypointe-onde (définie comme un complexe associant une pointe et une onde lente).
La localisation des activités pathologiques apporte de nombreux renseignements. La localisation de graphoéléments paroxystiques de type pointe permet par exemple de faire la différence entre une épilepsie généralisée (figure 18.5) et une épilepsie focale (figure 18.6).

Figure 18.5
Anomalies paroxystiques à type de pointes ondes généralisées.

Figure 18.6
Anomalies focales à type de pointes ondes dans les régions pariéto-occipitales et temporo-occipitales gauches.
Déroulement de l'examen
En pratique courante, chez l'adulte, un EEG doit avoir une durée d'au moins 20 minutes sans artefact. Le patient doit être installé dans une pièce calme, sans distraction et avoir les yeux fermés. Chez l'enfant, un EEG standard doit comporter 20 à 30 minutes de tracé de veille et de façon systématique un enregistrement du sommeil. L'enregistrement dure donc de 45 minutes à 1 heure. Durant l'examen, les différentes manœuvres d'activation suivantes doivent être réalisées.
Réactivité à l'ouverture/fermeture des yeux
À plusieurs reprises, l'infirmier demande au patient d'ouvrir ses yeux. De manière physiologique, une modification de l'activité cérébrale de fond apparaît, on appelle cela la « réaction d'arrêt de Berger ». Lorsque le patient présente des troubles de vigilance (et ne peut ouvrir et fermer les yeux de façon volontaire), il faut alors tester la réactivité du tracé EEG en stimulant le patient. Il peut s'agir de stimulations auditives (appel de son nom, claquement de main) ou tactiles, voire douloureuses.
Hyperpnée
L'objectif de cette méthode d'activation est la recherche d'une susceptibilité aux stimuli visuels (photosensibilité). À l'aide d'un stroboscope, le patient reçoit des flashs lumineux intenses intermittents à 30 cm de ses yeux, la fréquence des flashs augmentant progressivement. Le patient doit fixer le centre de la source lumineuse et fermer ou ouvrir les yeux à la demande de l'infirmier. Cela permet dans certains cas de provoquer des anomalies EEG, voire des crises d'épilepsie et donc de faciliter le diagnostic positif et syndromique d'épilepsie (figure 18.7).

Figure 18.7
Photosensibilité se manifestant par des bouffées de pointes ondes diffuses déclenchées par la stimulation lumineuse intermittente.
Sommeil
En EEG, lors des différents stades de sommeil, différents graphoéléments spécifiques sont observés (fuseaux de sommeil, complexe K, etc.). De plus, le sommeil facilite l'apparition de certains graphoéléments paroxystiques et peut majorer la fréquence des anomalies intercritiques. Ainsi et en particulier chez l'enfant, l'enregistrement d'une période de sommeil est nécessaire pour augmenter la sensibilité de l'EEG.
Potentiels évoqués
Les potentiels évoqués permettent également d'étudier de manière fonctionnelle le système nerveux central. Selon la modalité étudiée, il en existe plusieurs sortes :
Potentiels évoqués visuels (PEV)
Ils permettent d'étudier la voie visuelle. On effectue une stimulation visuelle répétitive (un œil après l'autre) en plaçant le patient devant un écran où un damier noir et blanc à carrés s'inversant périodiquement. Le signal est recueilli par des électrodes placées au niveau du cortex occipital. On peut ainsi déterminer la latence et l'amplitude de la réponse corticale à des stimulations visuelles. Les PEV sont très souvent utilisés dans le bilan neuro-inflammatoire pour rechercher une inflammation du nerf optique, mais aussi lors de troubles de l'acuité visuelle non expliqués par les données de l'examen ophtalmologique.
Potentiels évoqués auditifs (PEA)
Ils permettent d'étudier l'activité électrique produite le long des voies auditives périphériques, mais également centrales, en réponse à une stimulation auditive. Il en existe trois types distincts selon le temps d'analyse et les structures auditives explorées :
- les potentiels évoqués auditifs précoces (PEAp) (0 à 10 ms) ;
- les potentiels auditifs de latence moyenne (PEALM) (10 à 60 ms) ;
- les potentiels auditifs tardifs (60 à 600 ms).
On explore ainsi la totalité de la voie auditive, de la cochlée jusqu'aux cortex auditifs primaires et associatifs en passant par le tronc cérébral.
Potentiels évoqués moteurs (PEM)
Ils correspondent au recueil des réponses musculaires lors de la stimulation du cortex moteur ou de la moelle. Les électrodes sont placées en regard d'un muscle. La stimulation corticale et spinale est ici effectuée par des bobines de stimulation magnétique. Les PEM permettent d'étudier la fonctionnalité de la voie motrice et de recueillir des mesures du temps de conduction centrale du potentiel évoqué.
Potentiels évoqués somesthésiques (PES)
Ils permettent de tester la fonctionnalité de la voie somesthésique. On stimule électriquement un nerf périphérique (médian, ulnaire, fibulaire commun ou tibial). Les électrodes de recueil sont placées à différents endroits stratégiques (point d'Erb, cervical, cortex somesthésiques) permettant d'étudier la progression du signal du potentiel évoqué le long des voies sensitives (nerfs périphériques, racine nerveuse, entrée dans la moelle spinale, tronc cérébral et cortex somesthésiques). On les utilise par exemple pour rechercher des souffrances de la moelle spinale, expliquer un trouble de la sensibilité ou encore au bloc opératoire pour monitorer les patients lors de chirurgie du rachis.
Potentiels évoqués laser (PEL)
Ils sont obtenus en stimulant, à l'aide d'un laser, la peau du patient qui ressent ainsi une sensation de piqûre. On utilise les PEL pour étudier le fonctionnement des voies extralemniscales (faisceau spinothalamique) de la sensibilité protopathique (tact grossier, thermoalgique).
En réanimation
On utilise les potentiels évoqués pour évaluer l'état fonctionnel cérébral de certains patients dans le coma, éventuellement par combinaison des différents types. Les PEAp peuvent renseigner sur le fonctionnement du tronc cérébral, les PES et PEALM évaluent la fonctionnalité des cortex sensoriels primaires. Enfin la fonctionnalité des cortex associatifs et des structures corticales impliquées dans les processus cognitifs est explorée par les PEA tardifs et cognitifs grâce à des paradigmes de stimulation complexes. Les potentiels dans le cadre du coma (surtout post-anoxique) permettent ainsi d'aider à formuler un pronostic de réveil.
- L'électroencéphalogramme permet d'étudier l'activité électrique du cortex cérébral.
- Du fait de sa très bonne résolution temporelle, c'est un examen complémentaire de l'imagerie cérébrale, qui fait partie intégrante des examens diagnostiques et pronostiques en routine neurologique.
- Les potentiels évoqués mesurent les modifications du signal électrique induites par des stimulations sensorielles ou par des processus cognitifs, et permettent de tester l'intégrité de ces voies fonctionnelles.
Voir QRM chapitre 32.
Pour en savoir plus
- Feyissa AM, Tatum WO. Adult EEG. Handb Clin Neurol 2019 ; 160 : 103–24.
- Kaminska A, Eisermann M, Plouin P. Child EEG (and maturation). Handb Clin Neurol 2019 ; 160 : 125–42.
- Odom JV, Bach M, Brigell M, Holder GE, McCulloch DL, Mizota A, et al. ; International Society for Clinical Electrophysiology of Vision. ISCEV standard for clinical visual evoked potentials : (2016 update). Doc Ophthalmol 2016 ; 133 : 1–9.
- Rosenow F, Klein KM, Hamer HM. Non-invasive EEG evaluation in epilepsy diagnosis. Expert Rev Neurother 2015 ; 15 : 425–44.