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Chapitre 24 : Techniques d'exploration de la neuroréanimation

Lucas Di Meglio et Benjamin Rohaut

 

La gravité des pathologies rencontrées en réanimation ainsi que l'utilisation de médicaments sédatifs entraînent fréquemment une altération de la conscience pouvant aller jusqu'au coma. L'examen clinique seul n'est alors plus toujours suffisant pour surveiller l'état neurologique des patients. Dans ces situations, des techniques d'exploration complémentaire peuvent être utilisées pour optimiser les soins des patients. Ces techniques permettent de mesurer, ou d'estimer, différents paramètres physiologiques comme la perfusion cérébrale, la pression intracrânienne, l'oxygénation cérébrale, l'activité corticale ou encore la conduction neuronale. On parle de surveillance multimodale quand ces différents paramètres sont surveillés simultanément pour guider la prise en charge médicale.
Les risques de déplacer les patients graves, et notamment instables sur le plan hémodynamique et/ou respiratoire ainsi que la nécessité d'une surveillance en temps réel imposent de réaliser ces examens au lit du patient. Ainsi les appareils utilisés doivent être de faible encombrement et peu sensibles aux artefacts liés aux autres appareils électroniques présents dans une chambre de réanimation (scopes, ventilateurs, machine d'épuration extrarénale, etc.). La continuité de soin implique également que les neuroréanimateurs soient capables d'interpréter eux-mêmes, au moins en partie, les paramètres monitorés. En conséquence, le monitorage doit permettre de répondre simplement à une question cliniquement pertinente (ex : contrôle d'un état de mal épileptique, d'une hypertension intracrânienne). Dans ce chapitre sont particulièrement détaillées les techniques spécifiques à la neuroréanimation (capteur de PIC [pression intracrânienne], EDTC [échodoppler transcrânien], monitoring de l'oxygénation cérébrale). L'EEG, l'ENMG et les potentiels évoqués sont plus détaillés dans les chapitres 18 et 19.

Surveillance de la pression intracrânienne

Échodoppler transcrânien

L'EDTC en réanimation repose sur les mêmes bases que celles exposées au chapitre 22. Son utilisation est idéale au lit du patient mais nécessite une fenêtre osseuse temporale perméable aux ultrasons (absente ou sous optimale chez 10 à 15 % des patients). L'EDTC est réalisable avec la plupart des échographes disponibles en réanimation à l'aide d'une sonde identique ou proche de celle utilisée pour l'échocardiographie. Le mode couleur permet de visualiser le flux au niveau du cercle artériel de la base du cerveau (polygone de Willis) (figure 24.1), alors que le mode doppler permet de mesurer la vitesse d'écoulement du sang. Le tracé spectral obtenu par le mode doppler (figure 24.2) permet de calculer différents paramètres d'intérêt : pic de vitesse systolique (VS), vitesse moyenne (VM), vitesse diastolique (VD), index de pulsatilité ([VS – VD]/VM), etc. À titre d'exemple,

Exemples

  • Une pulsatilité au-dessus de la valeur normale, lorsqu'elle est observée de manière unilatérale, peut correspondre à une augmentation des résistances d'aval liée par exemple à un obstacle sur l'écoulement sanguin dû à un hématome hémisphérique.
  • Une augmentation bilatérale de l'indice de pulsatilité peut être un signe orienteur vers une augmentation de la pression intracrânienne après un traumatisme crânien.

 

Figure 24.1 
Cercle artériel de la base du cerveau (polygone de Willis) en coupe axiale en imagerie
 par résonance magnétique (IRM) et en échodoppler transcrânien (EDTC).

ACA : artère cérébrale antérieure ; ACM : artère cérébrale moyenne ; AcoA : artère communicante antérieure ; AcoP : artère communicante postérieure ; ACP : artère cérébrale postérieure.

 

 

 

Figure 24.2 
Spectre doppler transcrânien comparant un spectre normal (A)
avec un spectre d'hypertension intracrânienne (HTIC) (B).

Le spectre A révèle une vitesse diastolique (VDM) à 50 cm/s et un index de pulsatilité (PI) à 0.91, alors qu'en situation d'HTIC (B), le flux apparaît « résistif » avec une diastole à 21 cm/s et un PI à 1,76.

Les deux principales indications de l'EDTC en neuroréanimation sont la recherche de vasospasme artériel et l'estimation de la pression intracrânienne (figure 24.2B).

Pression intraventriculaire et capteur intraparenchymateux de pression intracrânienne

En cas de forte suspicion d'HTIC avec trouble de la vigilance, une mesure directe invasive de la PIC est recommandée. Il existe deux principales modalités de mesure de la PIC, souvent associées (figure 24.3) :

  • la mesure au moyen d'un transducteur interne intraparenchymateux à fibre optique qui peut être posé au lit du patient ;
  • la mesure au moyen d'un transducteur (ou « tête ») de pression externe, relié à une dérivation ventriculaire externe posée au bloc opératoire, permettant la mesure de la pression à l'intérieur des ventricules latéraux par transmission liquidienne.

 

 

Figure 24.3 
Vision schématique de l'installation du matériel de neuromonitoring 
chez une patiente présentant un hématome cérébral en réanimation.

DVE : dérivation ventriculaire externe ; EDTC : échodoppler transcrânien ; PIC : capteur de pression intracrânienne ; PtiO2 : capteur de pression partielle en oxygène.

 

L'avantage du capteur intraparenchymateux est qu'il donne une mesure continue de la PIC, alors que la mesure via une dérivation ventriculaire nécessite de clamper le système de drainage le temps de la mesure.
En cas d'HTIC, un des objectifs de la réanimation est de maintenir une PIC inférieure à 20 mmHg. Des mesures comme l'intensification de la sédation, l'augmentation du drainage de la dérivation ventriculaire, la correction d'une hypercapnie, d'une hyperthermie, ou encore un traitement chirurgical (craniectomie décompressive, évacuation d'hématome) permettent de diminuer une PIC trop élevée et maintenir une perfusion cérébrale satisfaisante.
La principale complication de la pose d'un capteur de PIC, bien que rare, est la survenue d'un hématome sur le trajet d'insertion. La dérivation ventriculaire expose, en plus, à un risque infectieux non négligeable nécessitant des soins dans un environnement adapté par du personnel entraîné.

Oxygénation et métabolisme cérébral

La mesure de l'état d'oxygénation cérébrale peut se faire soit par une mesure globale mais indirecte (saturation veineuse jugulaire en oxygène : SvjO2), soit par une mesure directe mais locale (pression tissulaire invasive en oxygène : PtiO2). La mesure de l'activité métabolique cérébrale repose sur la microdialyse.

Estimation globale : saturation veineuse jugulaire en oxygène

Le monitorage de la SvjO2 a pour but de détecter une souffrance ischémique du tissu cérébral. Elle se fait simplement en prélevant le sang veineux jugulaire à l'aide d'un cathéter jugulaire rétrograde cervical laissé en place. Le sang prélevé correspond ainsi au sang mêlé provenant à la fois du parenchyme cérébral et de la face. La SvjO2 reflète essentiellement la balance entre les apports et la consommation d'oxygène par le tissu cérébral. En cas d'apport en oxygène insuffisant, une augmentation de l'extraction de l'oxygène par le parenchyme cérébral se manifeste par une baisse de la SvjO2. Bien qu'utile en pratique courante, la SvjO2 peut être prise en défaut en cas d'ischémie localisée insuffisante pour modifier la valeur globale mesurée ou en cas d'ischémie dépassée (absence d'augmentation de l'extraction d'oxygène car le tissu est déjà nécrosé).

Mesure locale invasive de l'oxygénation

Le principe de la mesure invasive de PtiO2 repose sur la mise en place d'un capteur optique intraparenchymateux (cf. figure 24.3) et la mesure directe de la concentration en O2 (soit par fluorescence, soit par mesure d'un courant généré). Comme pour les capteurs de PIC, la principale complication est la survenue d'un hématome à l'insertion du matériel.
La surveillance de l'état d'oxygénation cérébral se discute dans des situations plus rares et toujours en complément de la surveillance de la PIC. Une surveillance de l'oxygénation associée à celle de la PIC permet d'éviter certains écueils et d'affiner la prise en soins des vasospasmes et de l'HTIC.

Mesure de l'activité métabolique cérébrale : microdialyse

Son principe repose sur la mesure, à l'aide d'un cathéter intraparenchymateux posé au lit du patient (cf. figure 24.3), de métabolites du milieu extracellulaire cérébral. Les principales complications sont la survenue d'un hématome à l'insertion du matériel et le risque infectieux. Une membrane semi-perméable à l'extrémité du cathéter permet de perfuser une solution saline qui diffuse dans le milieu extracellulaire et est ensuite récupérée pour analyse. Le principe de base repose sur la mesure du glucose et du rapport lactate/pyruvate qui reflète l'activité aérobie/anaérobie des neurones. En cas d'hypoperfusion du parenchyme cérébral, la diminution des apports en oxygène est responsable d'une modification de l'activité mitochondriale des neurones mesurable par le rapport lactate/pyruvate.

Mesure de l'activité et de la conduction neuronale

L'EEG, les potentiels évoqués et l'ENMG reposent sur les mêmes bases que celles exposées aux chapitres 18 et 19. Leur interprétation est souvent plus délicate en lien avec les artefacts liés aux autres appareils électriques présents dans la chambre et à l'œdème sous-cutané fréquent chez les patients en réanimation. Il existe certaines spécificités propres à la réanimation.

Mesure de l'activité électrique : EEG

En dehors des indications classiques pour la réalisation d'un EEG en pratique courante, deux types d'EEG sont réalisés en réanimation :

  1. le monitorage vidéo-EEG continu qui consiste à mesurer le signal EEG durant des périodes prolongées pouvant aller jusqu'à plusieurs jours au moyen d'électrodes collées sur le scalp des patients. Ce type de monitorage est particulièrement utile dans le cadre de certaines pathologies à risque de crises d'épilepsie relevant d'une prise en charge thérapeutique spécifique. Chez ces patients souvent sédatés, les crises épileptiques peuvent être très peu symptomatiques et ne sont souvent détectables que par l'EEG ;
  2. l'enregistrement EEG en « haute résolution » (pouvant aller jusqu'à 256 électrodes) avec ou sans stimulations répétées (telles que sons, langages, etc.) peut être réalisé pour évaluer plus finement le fonctionnement cérébral et aider notamment au pronostic de certains patients souffrant de troubles de la conscience. Ces techniques utilisent généralement des méthodes d'analyse complexes et off-line du signal EEG couplées à des outils statistiques. Elles permettent d'évaluer par exemple la prise de conscience de stimuli ou la réponse cérébrale à des ordres verbaux du type « bougez la main » chez un patient cliniquement non répondant.

Potentiels évoqués somesthésiques

Ils peuvent être réalisés au lit en réanimation à l'aide d'un système portatif. Ils sont principalement indiqués en réanimation pour la pronostication des comas post-anoxiques. L'abolition des réponses corticales somesthésiques sans atteinte périphérique dans les jours suivant une anoxie cérébrale témoigne généralement de lésions corticales étendues. L'abolition bilatérale des réponses corticales somesthésiques constitue, dans le cas de l'anoxie cérébrale, un facteur de très mauvais pronostic.

Électroneuromyogramme

Le principe de la réalisation de l'ENMG en réanimation n'est pas différent de celui réalisé au laboratoire (cf. chapitre 19). La principale indication de l'ENMG en réanimation est le diagnostic des pathologies neuromusculaires avec atteinte respiratoire et/ou de la déglutition.

  • Les techniques d'exploration en neuroréanimation fournissent des informations physiologiques, biologiques et physiques en temps réel au lit du patient.
  • Leur résultat doit toujours être interprété en fonction de la pathologie du patient, du reste de l'examen clinique et des autres examens réalisés (évaluation multimodale).
  • L'échodoppler transcrânien permet d'étudier l'hémodynamique intracrânienne notamment en cas d'hypertension intracrânienne ou de vasospasme.
  • En cas de suspicion d'hypertension intracrânienne responsable de trouble de la vigilance, une mesure directe de la pression intracrânienne est possible par la pose d'un capteur invasif de pression.
  • L'électroencéphalogramme continu mesure l'activité électrique cérébrale permettant de détecter des crises d'épilepsie ou des signes de conscience infraclinique.

Voir QRM chapitre 32.