Jean-Louis Montastruc
La très grande majorité de la transmission de l'information entre neurones s'effectue par l'intermédiaire de substances chimiques, les neurotransmetteurs, définis selon 5 critères :
- présence dans les terminaisons présynaptiques ;
- libération par le nerf présynaptique en même temps que l'activité nerveuse, et en quantité suffisante pour avoir un effet ;
- effets de l'application expérimentale du transmetteur putatif imitant ceux de la stimulation des terminaisons présynaptiques ;
- agonistes et antagonistes stimulant et bloquant, respectivement, les fonctions mesurées du transmetteur putatif ;
- existence d'un mécanisme (recapture, dégradation enzymatique) mettant fin aux actions du transmetteur.
Neurotransmission dans le système nerveux central
Acides aminés
Acides aminés inhibiteurs
- Le GABA (acide gamma-aminobutyrique), principal neurotransmetteur inhibiteur central, est dégradé par la GABA-transaminase et agit sur 2 sous types de récepteurs : GABA A (majoritaire) de type ionotropique et GABA B métabotropique (récepteur couplé aux protéines G : GPCR). Les récepteurs GABA A sont les cibles d'action de nombreux médicaments neuroactifs comme les benzodiazépines, les barbituriques, l'alcool ou les anesthésiques. Deux médicaments sont des agonistes des récepteurs GABA B : le myorelaxant baclofène et le psychoactif GHB (gamma-hydroxybutyrate, souvent désigné comme « drogue des violeurs »).
- La glycine est un autre neurotransmetteur inhibiteur central avec, comme antagoniste, la strychnine.
Acides aminés excitateurs
Le glutamate, présent à des concentrations élevées dans le cerveau, possède un puissant effet excitateur dans toutes les régions cérébrales. C'est le plus abondant des neurotransmetteurs stimulants. Il agit en se fixant essentiellement sur des récepteurs ionotropiques (NMDA [N-méthyl-D-aspartate], AMPA [amino-3-hydroxy-5-méthylisoazol-4-propionate]). En cas d'ischémie cérébrale ou d'hypoglycémie, il existe une libération massive de glutamate contribuant à la mort cellulaire. Une altération de la transmission glutamatergique a été montrée également dans les maladies neurodégénératives et certains médicaments utilisés dans la maladie d'Alzheimer (mémantine) ou de Parkinson (amantadine) agissent, au moins en partie, en inhibant le glutamate.
Acétylcholine (Ach)
Présente au niveau du système nerveux autonome et neuromusculaire (cf. infra), l'Ach se trouve aussi au niveau central. Elle assume la plus grande part de la neurotransmission des interneurones centraux en se fixant essentiellement sur des récepteurs muscariniques, les récepteurs nicotiniques centraux étant moins nombreux. De façon schématique, l'Ach participe au niveau central aux fonctions mnésiques. La dégénérescence de certains neurones cholinergiques s'observe dans la maladie d'Alzheimer et l'antagonisme des récepteurs muscariniques centraux par l'atropine ou les atropiniques explique les troubles de la mémoire et les hallucinations déterminés par cette classe pharmacologique, surtout chez les personnes âgées.
Monoamines
Dopamine (DA)
La dopamine est la catécholamine centrale la plus abondante, où elle est synthétisée à partir de l'acide aminé tyrosine métabolisé en lévodopa. Ces effets sont médiés par deux grands types de récepteurs, D1 activant l'adénylate-cyclase et D2 l'inhibant. Il existe principalement trois grandes voies dopaminergiques centrales :
- la voie nigrostriée contrôle la motricité automatique et dégénère en cas de maladie de Parkinson. Les médicaments antiparkinsoniens renforcent ce tonus dopaminergique défaillant chez la personne atteinte de maladie de Parkinson :
- la lévodopa est le précurseur de la dopamine,
- les agonistes dopaminergiques (ropinirole, pramipexole) activent directement les récepteurs D2,
- l'entacapone renforce l'effet de la lévodopa en inhibant la première enzyme du catabolisme de la lévodopa, la catéchol-O-méthyltransférase (COMT),
- la sélégiline et la rasigiline s'opposent à l'activité de la seconde enzyme de ce catabolisme, la monoamine-oxydase B (MAO B),
- le blocage des récepteurs D2 striataux par les neuroleptiques antipsychotiques rend compte des syndromes parkinsoniens, des dyskinésies tardives et autres troubles du mouvement avec ces médicaments ;
- la voie mésocorticolimbique (partant de l'aire tegmentale ventrale du mésencéphale en direction du système limbique et du cortex) est hyperactive en cas de psychose et l'antagonisme D2 exercé par les neuroleptiques antipsychotiques à ce niveau rend compte de leur effet thérapeutique. Ainsi s'expliquent aussi les hallucinations et confusions avec les médicaments dopaminergiques antiparkinsoniens. Les « troubles du contrôle de l'impulsivité » avec comportements compulsifs, jeux d'argent et hypersexualité parfois déterminés par ces médicaments relèvent du même mécanisme. Cette voie, mise en jeu en cas de récompense (plaisir), explique les mécanismes de dépendance aux drogues ;
- la voie tubéro-infundibulaire (qui part du noyau arqué, « noyau infundibulaire », de l'hypothalamus à l'hypophyse) inhibe la sécrétion de prolactine ce qui rend compte de l'utilisation des agonistes dopaminergiques dans les hyperprolactinémies et des aménorrhées-galactorrhées par hyperprolactinémie sous l'effet antagoniste D2 des neuroleptiques antipsychotiques.
Noradrénaline (NA) et adrénaline (Adr)
Ces catécholamines sont présentes au niveau central en moins grande quantité qu'en périphérie. La NA participe au contrôle de l'éveil et de la vigilance ainsi qu'aux phénomènes de dépendance. Les médicaments amphétaminiques agissent comme des sympathomimétiques indirects, en augmentant la libération de NA des terminaisons nerveuses centrales.
Histamine
Les neurones histaminergiques, principalement localisés au niveau de l'hypothalamus, contrôlent l'éveil et la température corporelle par l'intermédiaire de récepteurs H1, dont le blocage explique la sédation déterminée par les antihistaminiques classiques (anti-H1).
Plus récemment, des récepteurs H3 ont été mis en évidence sur les terminaisons présynaptiques des neurones à histamine où ils inhibent la libération neuronale. Ils seraient impliqués dans le contrôle de la prise alimentaire, des mouvements et leur dysfonctionnement pourrait participer aux symptômes de la schizophrénie ou des déficits d'attention. Le pitolisant, un agoniste inverse du récepteur H3, est indiqué dans la narcolepsie, une hypersomnie rare.
Sérotonine (5-hydroxytryptamine – 5HT)
La 5HT, par l'intermédiaire de nombreux types (7) et sous types de récepteurs, est un des principaux neurotransmetteurs centraux participant au contrôle du sommeil, des fonctions cognitives, de la perception sensorielle, de la motricité, de la température, de la nociception, de l'humeur, de l'appétit, des comportements sexuels et de la libération d'hormones. Les principaux corps cellulaires des neurones 5HT sont situés dans les noyaux du raphé du tronc cérébral et se projettent dans tout le cerveau et la moelle spinale.
La baisse des concentrations de 5HT centrale s'accompagne d'insomnie, d'augmentation des comportements agressifs et de majoration de la consommation alimentaire.
L'élévation excessive des taux de 5HT peut provoquer un syndrome sérotoninergique, constellation de symptômes (agitation, confusion, frissons, tachycardie, diarrhée, myoclonies, rigidité, fièvre, convulsions, troubles de la conscience et parfois décès) observés chez les patients débutant ou majorant la posologie d'un antidépresseur ou lors d'association d'un antidépresseur à un triptan ou au tramadol.
De nombreux médicaments affectent la transmission sérotoninergique centrale. Les agonistes 5HT1B/1D (triptans) sont des antimigraineux. Les imipraminiques et les inhibiteurs de la recapture de sérotonine sont des antidépresseurs et une part de l'action des antipsychotiques s'explique par un effet sur la sérotonine centrale.
Autres neurotransmetteurs
- Les neuropeptides se comportent généralement comme des modulateurs centraux plutôt que comme des agents excitateurs ou inhibiteurs. Un nombre croissant de neuropeptides a été décrit (calcitonines, hormones neurohypophysaires et hypothalamiques, neuropeptide Y, opioïdes, tachykinines, peptide intestinal vasoactif, glucagon, etc.). Ils sont impliqués dans un large éventail de fonctions cérébrales, allant de l'analgésie aux comportements sociaux, à l'apprentissage et à la mémoire.
- Les purines (adénosine, ATP, etc.) jouent un rôle dans la signalisation extracellulaire. L'ATP, composant des vésicules de stockage présynaptiques, est libérée avec les transmetteurs. Les purines ont été impliquées dans plusieurs fonctions : mémoire, apprentissage, comportement locomoteur, prise alimentaire.
- Certains lipides assurent un rôle de neuromodulateurs. Les cannabinoïdes agissent via deux types de récepteurs : les récepteurs CB1 présents à fortes concentrations dans tout le cerveau, et les récepteurs CB2 proéminents dans les cellules immunitaires. Le système endocannabinoïde et ses médiateurs (anandamide, 2-arachidonoylglycérol) fonctionnent comme un système de signalisation rétrograde, servant généralement à inhiber la libération présynaptique des neurotransmetteurs. La marijuana stimule l'appétit via l'activation CB1. Des antagonistes CB1 ont été développés pour le traitement de l'obésité. Le rimonabant, un agoniste inverse du récepteur CB1, initialement approuvé comme anorexigène, a été retiré en raison d'effets indésirables graves (suicide, états dépressifs).
- À côté des neurotransmetteurs stricto sensu, on décrit des substances régulatrices comme les neurotrophines (NGF [nerve growth factor], BDNF [brain-derived neurotrophic factor], etc.) qui contrôlent prolifération neuronale, différenciation et survie neuronale, synaptogenèse, etc. On évoque leur implication dans la sénescence cérébrale ou dans le mécanisme d'action des antidépresseurs. Les neurostéroïdes modulent la libération du GABA et du glutamate. Ils pourraient être impliqués dans le contrôle de la cognition ou de l'éveil. Les cytokines participent à la physiologie cérébrale, notamment aux phénomènes de neuroprotection.
Neurotransmission dans le système nerveux périphérique
Système nerveux végétatif
Il est la partie du système nerveux assurant la régulation des fonctions viscérales indépendamment de la volonté : circulation, respiration, digestion, reproduction, etc. Ce système, encore appelé autonome, se divise en contingents orthosympathique et parasympathique.
Système nerveux parasympathique (cholinergique)
Il se distribue de façon circonscrite à la quasi-totalité des organes périphériques et est organisé pour donner des réponses localisées segmentaires : bradycardie, bronchoconstriction, stimulation du péristaltisme intestinal, de l'absorption et des sécrétions digestives, évacuation de la vessie et du rectum, pupilloconstriction, etc., toutes fonctions permettant la conservation et la restauration de l'énergie, mises en jeu lors des conditions de repos, de vie calme. Les effets du système parasympathique s'exercent par l'intermédiaire de l'Ach libérée par les terminaisons post-ganglionnaires parasympathiques pour agir sur les récepteurs muscariniques. L'Ach (en agissant sur les récepteurs nicotiniques) est également le neurotransmetteur des ganglions parasympathiques.
De nombreux médicaments, utilisés en neurologie ou dans d'autres spécialités, modifient la transmission cholinergique parasympathique.
Parmi les parasympathomimétiques, la pilocarpine, chef de file des agonistes muscariniques, s'utilise comme myotique (provoque le myosis) local dans le glaucome, une maladie avec une augmentation anormale de la pression des liquides à l'intérieur de l'œil. La nicotine, chef de file des agonistes nicotiniques, est le médicament de l'abstinence tabagique. Les anticholinestérasiques peuvent être réversibles (« compétitifs »). On distingue les médicaments à action essentiellement périphérique, comme l'ésérine ou la néostigmine prescrites dans les atonies intestinales ou urinaires, et ceux à action centrale mais aussi périphérique, indiqués dans la maladie d'Alzheimer (donépézil, etc.). Les anticholinestérasiques irréversibles sont les organophosphorés utilisés dans les pédiculoses, comme insecticide ou gaz de combat (gaz sarin).
Les parasympatholytiques correspondent d'abord aux antagonistes muscariniques, atropine et dérivés, prescrits classiquement comme antispasmodiques, mydriatiques, dans les bradycardies extrêmes ou en préanesthésie (atropine). Les atropiniques ne sont plus guère utilisés comme antiparkinsoniens en raison de l'importance de leurs effets indésirables (dysurie, constipation, troubles de la mémoire, etc.). De nombreux médicaments possèdent des propriétés atropiniques latérales : antidépresseurs imipraminiques (amitriptyline, etc.), neuroleptiques phénothiazines (chlorpromazine, etc.) ou antihistaminiques H1 de 1re génération, etc.
Système nerveux orthosympathique (adrénergique)
Les fibres orthosympathiques se distribuent à la quasi-totalité des viscères et exercent leurs effets par l'intermédiaire de la NA, neuromédiateur libéré aux terminaisons post-ganglionnaires orthosympathiques. Ce système doué d'activité tonique est vasoconstricteur, cardioaccélérateur, intestino-inhibiteur, bronchodilatateur, pupillodilatateur et hyperglycémiant. Il est organisé de façon à donner des réponses étendues et généralisées. Cette tendance à l'extension est complétée par l'existence d'un mécanisme humoral, puisque la médullosurrénale et l'Adr qu'elle sécrète amplifient dans le temps et dans l'espace les effets de la NA. Ce système orthosympathique joue un rôle important dans la défense contre les agressions : froid, anoxie, douleur, anxiété, hémorragies, etc. Les deux catécholamines, NA et Adr, agissent de façon différentielle sur deux types de récepteurs adrénergiques, alpha (constricteur du muscle lisse) et bêta (relaxant du muscle lisse et stimulant les fonctions cardiaques). Les récepteurs alpha sont divisés en récepteurs alpha-1 post-synaptiques et alpha-2 présynaptiques modulant la libération de noradrénaline. Il existe deux sous types de récepteurs bêta : bêta-1 sur le cœur et bêta-2 sur le muscle lisse.
Les sympathomimétiques directs sont, outre la NA, agoniste alpha, et l'Adr, agissant selon les doses sur les récepteurs alpha ou bêta, toutes deux utilisées dans le traitement du choc, les agonistes alpha-1 utilisés dans l'hypotension orthostatique, la congestion nasale ou le glaucome et les agonistes alpha-2 antihypertenseurs (clonidine, etc.). Les agonistes bêta-2 (salbutamol) sont prescrits dans l'asthme ou la menace d'accouchement prématuré. On a aussi plus récemment décrit un récepteur bêta-3, notamment au niveau du détrusor vésical : les agonistes bêta-3 sont indiqués dans l'impériosité urinaire. Les sympathomimétiques indirects augmentent la libération des catécholamines : il s'agit des amphétaminiques, vrais ou cachés comme l'éphédrine, l'ecstasy ou le méthylphénidate utilisé dans l'hyperactivité de l'enfant. La cocaïne est un inhibiteur de la recapture de la noradrénaline.
Les sympatholytiques peuvent être directs : alphabloquants, indiqués comme vasodilatateurs ou relaxants de l'arbre urinaire (alfuzosine), bêtabloquants, utilisés en neurologie dans la migraine ou dans le tremblement essentiel et ailleurs dans l'hypertension artérielle, la maladie coronarienne, les arythmies cardiaques notamment. Les sympatholytiques indirects (réserpine) ne sont plus guère prescrits mais leurs dérivés (MIBG : méta-iodo-benzyl guanidine) sont utilisés pour l'imagerie cardiaque, par exemple des dysautonomies.
Jonction neuromusculaire
L'Ach assure la transmission neuromusculaire en agissant sur un récepteur de type nicotinique.
Les curares sont des antagonistes de ce récepteur cholinergique nicotinique musculaire.
La myasthénie est une maladie d'origine auto-immune caractérisée par une atteinte des protéines de la membrane post-synaptique de la jonction neuromusculaire par des autoanticorps circulants se comportant comme des inhibiteurs compétitifs de l'Ach, accélérant ainsi la dégradation du récepteur nicotinique cholinergique. Ainsi, les anticholinestérasiques (néostigmine, etc.) sont des médicaments utilisés à visée à la fois diagnostique et thérapeutique dans la myasthénie.
La toxine botulique est active dans les dystonies et autres contractures en inhibant la libération d'Ach au niveau de la plaque motrice.
Points clés
- La transmission de l'information entre neurones s'effectue par l'intermédiaire de substances chimiques, les neurotransmetteurs : acides aminés (GABA, etc.), acétylcholine, monoamines (dopamine, noradrénaline, histamine, sérotonine, etc.), neuropeptides, etc.
- Les neurotransmetteurs assurent le contrôle des grandes fonctions supérieures (motricité, cognition, humeur, etc.) au niveau central et également des fonctions viscérales au niveau périphérique (système nerveux autonome).
- Les médicaments neuropsychotropes (antiparkinsoniens, antidépresseurs, antipsychotiques, etc.) agissent en modifiant (mimant, antagonisant) l'action centrale des neurotransmetteurs.
Voir QRM chapitre 32.
Pour en savoir plus
Brunton LL, Knollmann BC, editors. Goodman and Gilman's : The pharmacological basis of therapeutics. 14th ed. New York: McGraw Hill Education ; 2022. Accès en ligne : https://accessmedicine.mhmedical.com/book.aspx?bookID=3191.