Mathieu Kuchenbuch et Louise Tyvaer
Définition
L'hyperexcitabilité neuronale est caractérisée par une réponse anormale, exagérée, des neurones à une stimulation isolée donnée. Ainsi, le neurone stimulé, au lieu de produire un seul ou deux potentiels d'action en réponse à une simple stimulation, génère une série de potentiels d'action répétés sans période de repos (figure 26.1). La réponse neuronale à l'information reçue est donc exagérée et se transmet à l'ensemble des neurones connectés. Ce phénomène est retrouvé dans de nombreuses pathologies neurologiques telles que l'épilepsie, la douleur neuropathique, la migraine, etc. Cette hyperexcitabilité est secondaire à un déséquilibre entre les mécanismes excitateurs et inhibiteurs du système nerveux.

Figure 26.1
Activation neuronale physiologique versus hyperexcitabilité neuronale.
Lors d'une stimulation neuronale physiologique, le neurone reçoit des informations au niveau de l'arbre dendritique. Si le potentiel post-synaptique dépasse le seuil de déclenchement du potentiel d'action, une dépolarisation massive (rouge) par ouverture de canaux voltage-dépendants survient et génère un potentiel d'action unique. Celui-ci se propage le long de la membrane axonale. Cette dépolarisation massive provoque la libération de neurotransmetteurs dans la fente synaptique et active le neurone avec lequel il partage la synapse. Après le passage du potentiel d'action, la membrane axonale se repolarise progressivement (bleu) et ne peut à nouveau générer de potentiel d'action (période réfractaire). Il faut attendre quelques millisecondes avant que la membrane axonale ne retrouve le potentiel de repos et soit de nouveau stimulable. Si le neurone est hyperexcitable, au lieu de générer un seul potentiel d'action, la membrane se dépolarise de manière ample et prolongée et produit une salve de potentiels d'action (PDS) sans retour à un potentiel de repos entre les potentiels d'action. Cette hyperexcitabilité est transmise aux neurones connectés par la synapse avec une libération de neurotransmetteurs de manière massive et prolongée.
Mécanismes cellulaires
L'hyperexcitabilité neuronale est sous-tendue par un phénomène membranaire spécifique : le paroxysmal depolarization shift (PDS). Ce phénomène est responsable d'un dysfonctionnement de la genèse des potentiels d'action, support principal de la communication interneuronale.
Potentiel d'action : mécanismes physiologiques
La communication entre les neurones repose sur l'échange de signaux électriques et chimiques. La genèse et la propagation des signaux électriques dépendent de la variation du potentiel de membrane des neurones.
La membrane est en effet équipée de différents canaux et pompes permettant des échanges ioniques entre les milieux extracellulaire et intracellulaire. Au repos, les canaux et pompes ioniques, notamment Na+ et K+, permettent de maintenir une différence de charge (ou de potentiel) électrique entre les milieux intra et extracellulaires. Le milieu intracellulaire est alors chargé plus négativement que le milieu extérieur permettant un potentiel de membrane de repos à –70 mV.
Au niveau de son arbre dendritique, le neurone reçoit de multiples informations véhiculées par des neurotransmetteurs. Selon le type de neurotransmetteurs reçu et l'activation de récepteurs correspondants au niveau post-synaptique, des canaux ioniques s'ouvrent ou se ferment, provoquant localement soit une dépolarisation (potentiel post-synaptique excitateur, PPSE) soit une hyperpolarisation (potentiel post-synaptique inhibiteur, PPSI). Une sommation spatiale et temporelle des potentiels post-synaptiques collectés au niveau de l'arbre dendritique est effectuée au niveau du soma neuronal.
Un potentiel d'action est généré au niveau axonal seulement si le potentiel membranaire obtenu à la suite de cette sommation atteint une dépolarisation suffisante (seuil de déclenchement du PA : autour de –40 mV) (figure 26.2). En effet, cette dépolarisation seuil déclenche l'ouverture de canaux sodiques voltage-dépendants permettant l'entrée massive de sodium dans le milieu intracellulaire. La membrane se dépolarise de manière massive et rapide. Secondairement, la fermeture de ces premiers canaux et l'ouverture de canaux potassiques voltage-dépendants, favorisant la fuite de potassium dans le milieu extracellulaire, contribuent à la repolarisation de la membrane et même à une hyperpolarisation. Cette hyperpolarisation permet une période réfractaire (durée 1 à 2 ms) durant laquelle le neurone ne peut générer de nouveau potentiel d'action. Progressivement, le potentiel de membrane retourne à son état de repos, le neurone est alors prêt à répondre à de nouvelles stimulations.

Figure 26.2
Déclenchement d'un potentiel d'action.
PA : potentiel d'action ; PPSE : potentiel post-synaptique excitateur ; PPSI : potentiel post-synaptique inhibiteur ; PR : potentiel de repos.
© CNER. Réanimation 3e éd. Paris : Elsevier Masson ; 2016.
Le potentiel d'action se propage le long de la membrane axonale et déclenche la libération de neurotransmetteurs au niveau présynaptique. L'information est ainsi transmise aux neurones connectés.
Paroxysmal depolarization shift
Dans le cadre d'une hyperexcitabilité neuronale, un phénomène cellulaire spécifique est observé : le PDS. Il s'agit d'un PPSE géant, une dépolarisation lente de la membrane neuronale, anormalement ample et prolongée. Cette dépolarisation est responsable de la genèse de potentiels d'action survenant en salve d'amplitude progressivement réduite sans retour à un état de repos, c'est-à-dire sans retour à un potentiel de membrane de repos.
Cette dépolarisation est initiée par l'activation inhabituelle des récepteurs excitateurs glutamatergiques. La salve de potentiels d'action ainsi générée est responsable d'une libération de neurotransmetteurs massive et soutenue, excitant de manière pathologique tous les neurones connectés.
Ce phénomène cellulaire de PDS survenant de manière simultanée au sein d'une population neuronale est visible par un enregistrement EEG de surface. Ainsi, en EEG, le PDS est caractérisé par une activité paroxystique identifiée comme une pointe (figure 26.3).

Figure 26.3
Comparaison du potentiel d'action et de l'électroencéphalogramme (EEG)
entre activation neuronale physiologique et hyperexcitabilité neuronale.
A. Activité neuronale physiologique. Lorsqu'un potentiel d'action est enregistré au niveau cellulaire, l'EEG, activité cérébrale captée à la surface du scalp, ne retrouve aucune modification. B. Hyperexcitabilité neuronale. Lorsqu'un PDS (paroxysmal depolarization shift) est enregistré au niveau cellulaire, l'EEG retrouve une activité paroxystique anormale de type pointe ou pointe-onde en regard de la zone corticale concernée.
Balance inhibitrice/excitatrice
Comme rappelé dans le chapitre 2, la transmission des informations entre les neurones s'effectue au niveau synaptique, l'arrivée du train de potentiels d'action permettant la libération de neurotransmetteurs dans la fente synaptique et l'activation des récepteurs post-synaptiques du neurone relié. Selon le type de neurotransmetteurs (cf. chapitre 4), l'information transmise est excitatrice (PPSE) ou inhibitrice (PPSI).
Il existe dans le cerveau une homéostasie (c'est-à-dire un équilibre), entre l'excitation et l'inhibition. Cette balance permet une variation du niveau d'activation neuronale selon les besoins fonctionnels. Cet équilibre entre inhibition et excitation est maintenu par un processus adaptatif appelé plasticité homéostatique. La baisse de l'inhibition et/ou l'augmentation de l'excitation sont à la base de la physiopathologie des crises épileptiques. Les traitements antiépileptiques visent ainsi à rééquilibrer cette balance en favorisant l'inhibition ou en limitant l'excitation du réseau cortical.
Mécanismes de propagation
Le phénomène d'hyperexcitabilité est le plus souvent associé à un phénomène d'hypersynchronie neuronale. En effet, un PDS généré par un neurone s'accompagne d'une activité synchrone de PDS dans un ensemble de neurones interconnectés. Au-delà de cette génération de PDS focale et synchrone, une propagation du PDS est le plus souvent observée. Ce phénomène est particulièrement décrit dans les crises d'épilepsie.
Conclusion
L'hyperexcitabilité neuronale est un processus physiologique permettant le renforcement de réseaux neuronaux et leur spécialisation. Cependant, comprendre les enjeux de l'excitation et de l'inhibition du cortex permet de mieux appréhender la physiopathologie et les thérapeutiques de nombreuses maladies du SNC. En effet, la régulation anormale des neurotransmetteurs est responsable de pathologies neurologiques et psychiatriques, notamment du fait de leur impact sur la balance excitation/inhibition. L'épilepsie est l'archétype des déséquilibres de cette balance soit par une chute de l'inhibition, soit par une augmentation de l'excitation neuronale. Les traitements antiépileptiques visent à rétablir cette balance via différents mécanismes et la connaissance de leurs cibles thérapeutiques permet d'adapter leurs combinaisons.
- L'hyperexcitabilité est un phénomène physiologique. Elle peut être pathologique lorsque la balance excitation/inhibition est déséquilibrée.
- Les mécanismes de genèse du potentiel d'action restent inchangés.
- L'hyperexcitabilité est expliquée par la survenue d'une salve inhabituelle de potentiels d'action sans retour au potentiel de repos entre les potentiels d'action (sans période réfractaire).
- La transmission entre neurones de cette hyperexcitabilité se fait principalement par voie synaptique.
- L'hyperexcitabilité synchrone anormale d'un groupe de neurones est visible sous la forme d'une pointe en EEG.
Voir QRM chapitre 32.