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Chapitre 29 : Neuroplasticité

Anthony Faivre , Adil Maarouf et Bertrand Audoin

Définitions

La neuroplasticité est un terme générique, dérivé du substantif grec plassein (modeler), qui correspond à la capacité du système nerveux des êtres vivants de se modifier en fonction de leur expérience et des lésions qu'ils pourraient subir. Il s'agit d'une capacité propre du système nerveux à modifier sa structure et/ou sa fonction en réponse à des stimuli intrinsèques et/ou extrinsèques. Les capacités de neuroplasticité sont variables selon des déterminants génétiquement fixés selon chaque espèce, l'âge de l'individu, et le type de tissu nerveux. Chez l'homme, il a été démontré que tous les compartiments du système nerveux, centraux et périphériques, possédaient des capacités de plasticité mais celle-ci est particulièrement marquée pour le cerveau et cette question est centrée sur la plasticité cérébrale.

La notion de connectivité est complémentaire à celle de neuroplasticité et désigne le degré de connexions entre les différents acteurs d'un réseau. Le cerveau humain est composé d'environ 1010 neurones interconnectés par près de 10 000 fois plus de synapses. Il possède une organisation complexe et non aléatoire en réseaux distribués spécifiques d'unités de traitement du signal interconnectées et sous-tendant les multiples fonctions cérébrales régissant la vie humaine. La modulation de cette connectivité en fonction de l'expérience est un témoin des propriétés de neuroplasticité du cerveau humain que l'essor des techniques d'imageries modernes, notamment de l'IRM, a permis de mieux appréhender. Deux types de connectivités peuvent être définis qui sont étroitement liés mais qui peuvent aussi évoluer de façon indépendante :

  • la connectivité anatomique ou structurelle qui désigne l'ensemble des connexions physiques entre groupes neuronaux à un temps donné et qui est le reflet de la neuroplasticité structurale ;
  • la connectivité fonctionnelle qui se réfère à la corrélation temporelle d'activités liées aux interactions réciproques entre deux populations neuronales et qui est le reflet de la neuroplasticité fonctionnelle.

Les phénomènes de neuroplasticité peuvent être observés dans trois conditions principales parfois associées :

  1. lors du développement et de la maturation cérébrale des individus où cette plasticité développementale est très marquée jusqu'à l'âge adulte ;
  2. après une lésion cérébrale où sont mis en jeu des phénomènes de plasticité lésionnelle qui s'inscrivent dans un processus de réparation du tissu nerveux et s'opposent à l'installation du handicap neurologique ;
  3. au cours d'expérience, d'apprentissage et d'entraînement générant des phénomènes de plasticité comportementale induite par l'expérience ou plasticité des experts, comme l'ont démontré les études IRM chez les jongleurs et les conducteurs de taxi dont le volume des aires corticales impliquées dans la tâche varie en fonction du niveau d'entraînement.

Bases physiologiques

Neuroplasticité structurale

Cette notion renvoie aux propriétés du tissu nerveux, notamment cérébral à faire évoluer sa structure en fonction des stimulations intra ou extrinsèques ou des dommages qu'il peut subir.

Régénération

Cette propriété est particulièrement limitée pour le tissu cérébral, car les cellules neuronales humaines ne disposent pas de réelle capacité de mitose et les neurones survivants en cas de lésion cérébrale ne disposent donc pas des capacités de se dupliquer à des fins régénératives. Les travaux récents ont remis en cause le dogme de l'absence de neurogenèse cérébrale humaine chez l'adulte en démontrant son existence par mobilisation de cellules souches neurales du système embryonnaire qui sont capables de produire toutes les catégories de cellules cérébrales, notamment neuronales et leur incorporation au sein de réseaux cérébraux opérationnels. Ce phénomène est notamment observé dans l'hippocampe dont la plasticité est impliquée dans l'encodage mnésique, mais également dans le bulbe olfactif, les régions sous et périventriculaires et le cervelet.

Réparation

Ce phénomène est beaucoup plus prééminent que la neurogenèse. Après une lésion cérébrale sont observés des phénomènes de germination locale des terminaisons des axones et des dendrites aboutissant à une élongation des terminaisons neuronales afin de rétablir les connexions. Au niveau synaptique, sont observés des phénomènes de germination axonale et d'arborisation dendritique visant à restaurer l'architecture synaptique. Il s'agit de phénomènes complexes mettant en jeu notamment la sécrétion de facteurs de croissance neuronaux spécifiques et de voies de signalisation protéique pour guider la repousse dendritique. L'efficacité de ces processus est néanmoins contrecarrée par la mort retardée des cellules neuronales dont les prolongements ont été initialement endommagés du fait de phénomènes de déprivation trophique et de stress oxydatif mais surtout du fait de l'intense réaction de prolifération gliale inflammatoire secondaire à une lésion cérébrale qui limite les processus de reconnexion structurelle en isolant le site lésionnel.

Remodelage synaptique

La plasticité synaptique peut aussi se traduire par une modification structurale d'une synapse non lésée, à distance par la lésion cérébrale du fait de l'interconnectivité neuronale. Ainsi, en cas de réduction prolongée d'influx synaptiques du fait d'une lésion d'amont, des phénomènes de densification structurale peuvent être observés avec augmentation de la taille et du nombre d'épines dendritiques et de la surface active post-synaptique. À l'inverse, en cas d'augmentation prolongée de l'influx synaptique, une neuroplasticité structurelle négative peut être observée au niveau de la synapse d'aval. Ces phénomènes de plasticité synaptique structurelle ne sont pas immédiats et correspondent à des processus retardés de potentialisation synaptique à long terme succédant généralement aux processus de plasticité fonctionnelle plus rapidement mis en œuvre et plus précoces.

Remodelage de la connectivité structurelle

Des études plus récentes ont démontré que les phénomènes de remodelage du tissu cérébral ne s'observaient pas qu'au niveau synaptique et de la substance grise, mais pouvaient aussi intéresser les faisceaux de substance blanche dont le degré de microstructuration peut être appréhendé indirectement par l'IRM de diffusion. Scholz et al. ont ainsi mis en évidence en 2009 grâce à cette technique appliquée chez des sujets jongleurs l'existence d'un renforcement microstructurel de la substance blanche pariétale associée à l'entraînement, première démonstration chez l'être humain de l'existence de phénomènes de plasticité structurelle de la substance blanche induits par l'entraînement. Le substratum biologique de ces modifications microstructurelles demeure incertain, mais pourrait correspondre à un renfort myélinique induit par l'entraînement.

Neuroplasticité fonctionnelle

L'adaptabilité du cerveau à l'expérience s'exprime également dans ses propriétés à modifier sa connectivité fonctionnelle de façon conjuguée ou dissociée de ses capacités d'adaptation structurelle. Cette modalité de neuroplasticité semble la plus prééminente dans le cerveau humain et s'exprime à tous les échelons depuis la synapse jusqu'à l'architectonie cérébrale globale.

Plasticité synaptique fonctionnelle (figure 29.1)

Elle représente la capacité des synapses à moduler la force de la transmission en fonction des caractéristiques de l'activité de leurs éléments pré et post-synaptiques. Elle répond au postulat de Hebb qui stipule que « les connexions entre deux neurones sont renforcées lorsqu'ils ont une activité synchrone, et affaiblies dans le cas contraire ». La plasticité fonctionnelle synaptique repose essentiellement sur la modulation neurobiochimique.

  • Au niveau présynaptique, la modulation de la cadence et du rythme d'acheminement des vésicules neurotransmettrices dans la fente synaptique permettent ainsi d'augmenter ou de diminuer l'activité synaptique dans un délai rapide de quelques secondes à quelques minutes en réponse à un phénomène nouveau.
  • Au niveau post-synaptique, la modulation d'activité passe surtout par les récepteurs aux neurotransmetteurs dont l'expression membranaire et l'internalisation peuvent rapidement se modifier pour amplifier ou au contraire déprimer l'influx post-synaptique. Ce phénomène a particulièrement été étudié pour le récepteur NMDA au glutamate qui est le principal neurotransmetteur excitateur du système nerveux central sous-tendant la genèse de PPSE (cf. chapitre 26). Ainsi, en cas d'augmentation de l'expression des récepteurs glutamatergiques qui peuvent être considérés comme des détecteurs de coïncidence sous dépendance des flux calciques, s'opère une sommation de PPSE (potentiel post synaptique excitateur) capable de générer un potentiel d'action. À l'inverse, la répression de l'expression des récepteurs glutamatergiques NMDA et leur internalisation dépriment la sommation des PPSE et inhibent l'apparition d'un potentiel d'action.

 

 

Figure 29.1 
Plasticités synaptiques.
Illustration originale du Pr Anthony Faivre.

 

Le rythme et la cadence de recyclage et de relargage des neurotransmetteurs dans la fente synaptique sont également des leviers de modulation de l'activité synaptique à réactivité rapide. Ces phénomènes de plasticité synaptique fonctionnelle ont été particulièrement étudiés au niveau de l'hippocampe où a été décrit le phénomène de potentialisation à long terme synaptique considéré comme un des processus cardinaux des phénomènes de mémorisation.

Réorganisation fonctionnelle, compensation, vicariance et redondance

La défaillance d'un groupe neuronal, d'une aire ou d'un réseau spécialisé dans une fonction cérébrale peut s'accompagner d'une réorganisation fonctionnelle visant à compenser les lésions et contrecarrer les perturbations fonctionnelles induites. L'émergence de ces phénomènes est la conséquence du caractère intégré du fonctionnement cérébral, de l'interconnexion des aires cérébrales et de l'organisation en systèmes multiconvergents. La suppléance fonctionnelle peut ainsi être transférée à un réseau voisin support d'une fonction voisine à celle portée par le réseau défaillant. C'est par exemple le cas pour les systèmes sensoriels de l'équilibre portés à la fois par les voies provenant de l'oreille interne, de la proprioception musculosquelettique et de la vision périphérique. Il peut ainsi être observé en cas de lésion d'un de ces systèmes un accroissement compensatoire d'activité des deux autres réseaux pour lutter contre le déséquilibre.
La vicariance est un concept voisin défini par Von Monakov en 1900 plus fort que la compensation qui désigne le fait pour un système d'assumer par défaut, mais intégralement, la fonction d'un réseau défaillant. Le concept de vicariance va également de pair avec celui de redondance qui désigne le fait que certaines fonctions cérébrales sont supportées par des réseaux anatomiquement différents qui peuvent prendre le relais l'un de l'autre en cas de défaillance. Il peut s'agir de réseaux qui semblent inactifs à l'état physiologique et se démasquent fonctionnellement lorsque le réseau dominant défaille comme c'est le cas pour le faisceau pyramidal direct – dont le rôle physiologique dans la commande motrice volontaire semble anecdotique à l'état basal par rapport au faisceau pyramidal croisé – mais qui peut s'activer fonctionnellement afin de limiter l'installation du déficit moteur en cas de lésion de ce dernier.

  • La neuroplasticité correspond à la capacité du système nerveux des êtres vivants de se modifier en fonction de leur expérience et des lésions qu'ils pourraient subir.
  • Il existe trois types de neuroplasticité : développementale, lésionnelle et comportementale.
  • Deux mécanismes majeurs de neuroplasticité sont décrits : la plasticité structurale et la plasticité fonctionnelle.

Voir QRM chapitre 32.

Pour en savoir plus

  • Draganski B, Gaser C, Busch V, Schuierer G, Bogdahn U, May A. Neuroplasticity : changes in grey matter induced by training. Nature 2004 ;427:311–2.
  • Ismail FY, Ljubisavljevic MR, Johnston MV. A conceptual framework for plasticity in the developing brain. Hand Clin Neurol 2020 ;173:57–66.
  • Maguire EA, Gadian DG, Johnsrude IS, Good CD, Ashburner J, Frackowiak RS, et al. Navigation related structural change in the hippocampi of taxi drivers. Proc Natl Acad Sci U S A 2000 ;97:4398–403.
  • Npochinto Moumeni I. Brain plasticity : Regeneration ? Repair ? Reorganization ? or Compensation ? What do we know to date ? Neurol Psychiatr Geriatr 2020 ;21:213–26.
  • Scholz J, Klein MC, Behrens TE, Johansen-Berg H. Training induces changes in white-matter architecture. Nat Neurosci 2009 ;12:1370–1.
  • Von Bernhardi R, Eugenin-von Bernhardi L, Eugenin J. What is neural plasticity ? Adv Exp Med Biol 2017 ;1015:1–15.