Elisabeth Ruppert et Patrice Bourgin
Rythmes circadiens
La plupart des paramètres physiologiques et comportementaux sont soumis à un rythme biologique selon une variation périodique déterminée par une période dont la durée définit le type de rythme biologique. On distingue des rythmes :
- circadiens, du latin circa « autour » et dies « jour », avec une période proche de 24 heures comme le rythme veille-sommeil ;
- infradiens avec une période > 28 heures, comme le cycle menstruel ;
- ultradiens avec une période < 20 heures, comme la fréquence cardiaque.
Dans ce chapitre, nous nous concentrons sur la rythmicité circadienne. La rythmicité circadienne est générée par notre horloge biologique circadienne située dans les noyaux suprachiasmatiques, une petite structure de l'hypothalamus située au-dessus du chiasma optique. Cette horloge principale est constituée de boucles de rétroaction positive et négative responsable de l'expression rythmique de gènes d'horloge et des protéines qu'ils codent avec une rythmicité proche de 24 heures, la périodicité endogène chez l'homme étant légèrement supérieure à 24 heures (24,18 heures en moyenne). Les gènes d'horloge sont également exprimés dans de nombreuses cellules appartenant à d'autres organes (foie, système digestif, cœur, revêtement cutané, etc.) et constituant des horloges dites périphériques. Tel un chef d'orchestre, l'horloge centrale dans les noyaux suprachiasmatiques distribue son signal à tout l'organisme permettant aux horloges périphériques d'être synchronisées les unes avec les autres.
Un autre facteur important dans la synchronisation des rythmes circadiens est la mélatonine. Aussi appelée « hormone du sommeil » ou « hormone du noir », elle est sécrétée la nuit par la glande épiphyse sous le contrôle de l'horloge centrale. Sa sécrétion est inhibée par l'exposition lumineuse. L'horloge centrale est synchronisée sur les rythmes jour-nuit de 24 heures via des signaux externes, « donneurs de temps », essentiellement l'alternance lumière-obscurité, mais également l'alternance activité-repos, l'alimentation, les interactions sociales, etc. Quand un sujet est isolé de tout repère temporel, son horloge biologique se décale progressivement avec un coucher et un lever de plus en plus tardifs, elle est « en libre cours ».
Outre le cycle veille-sommeil, de très nombreuses autres fonctions sont sous le contrôle d'une horloge circadienne (température corporelle, sécrétion d'hormones, facteurs métaboliques et inflammatoires, humeur, activité digestive, etc.). Il est fondamental d'avoir une rythmicité circadienne bien synchronisée avec le cycle lumière-obscurité et que les différentes horloges soient correctement synchronisées entre elles. Lorsque la rythmicité circadienne est altérée, les effets néfastes sont multiples. Les troubles des rythmes circadiens sont de plus en plus fréquents dans notre société et sont à l'origine d'une prévalence accrue de troubles de la veille et du sommeil, de troubles de l'humeur et de l'attention, de diminution des performances cognitives et de troubles métaboliques. Ils constituent un facteur de risque pour le développement de troubles neurodégénératifs et de certains cancers.
Veille et sommeil
Le sommeil est un état physiologique, actif et réversible, à ne pas confondre avec une altération pathologique de la vigilance (cf. chapitre 12). Un sommeil insuffisant se manifeste par une somnolence, une possibilité de survenue inappropriée de sommeil ou d'envie de dormir, et par une mauvaise qualité d'éveil avec de nombreux retentissements cognitifs, thymiques, métaboliques, etc.
L'éveil est sous le contrôle de la formation réticulée activatrice ascendante, contenue dans la substance réticulée de la partie ventrale du tronc cérébral. Ses neurones reçoivent les afférences sensitives et motrices et projettent de façon diffuse sur le cortex cérébral, l'hypothalamus, le système limbique, directement et par l'intermédiaire du thalamus. L'hypothalamus participe également aux systèmes d'éveil via les neurones à hypocrétine, aussi appelée orexine, et les neurones à histamine.
En sommeil, on observe une suspension d'activité de la formation réticulée activatrice ascendante, remplacée par une activité qui prend naissance dans des structures anatomiques différentes entraînant une réorganisation fonctionnelle d'ensemble. L'enregistrement polysomnographique permet de caractériser le sommeil sur la base de 3 paramètres électrophysiologiques :
- l'amplitude et la fréquence des ondes observées à l'électroencéphalogramme (EEG) (figure 5.1) ;

Figure 5.1
Caractéristiques des graphoéléments observés sur l'électroencéphalogramme (EEG) dans les différents stades de sommeil.
N1 : sommeil lent léger stade 1 ; N2 : sommeil lent léger stade 2 ; N3 : sommeil lent profond stade 3 ; REM : sommeil paradoxal.
© Fourneret P, Gentaz E. Le développement neurocognitif de la naissance à l'adolescence. Paris : Elsevier Masson ; 2022.
- les mouvements oculaires à l'électro-oculogramme ;
- le tonus musculaire à l'électromyogramme mentonnier.
La macroarchitecture du sommeil est représentée graphiquement par l'hypnogramme (figure 5.2).

Figure 5.2
Hypnogramme du sommeil de nuit d'un jeune adulte bon dormeur avec un 6e cycle de sommeil entamé non fini.
© Dauvilliers Y. Les troubles du sommeil, 3e édition. Paris : Elsevier Masson ; 2019.
Le sommeil est organisé en cycles (~5) d'une durée d'environ 1,5 heure comportant du sommeil lent (SL) caractérisé par un ralentissement des fréquences EEG (~75 %) et du sommeil paradoxal (SP) ou sommeil à activité EEG rapide, encore appelé sommeil à mouvements oculaires rapides (~25 %).
Sommeil lent
Il est caractérisé par une baisse globale mais hétérogène du métabolisme cérébral et une synchronisation graduelle de l'activité cérébrale définissant les trois stades de SL qui se succèdent. Le sommeil lent léger (SLL) (~50 %) comprend :
- le stade 1, un sommeil de transition, facilement réversible et généralement succédé rapidement par le stade 2 ;
- le stade 2, un sommeil plus consolidé, comportant des fuseaux et des complexes K, graphoéléments caractéristiques de ce stade.
Le sommeil lent profond (SLP) ou stade 3 (~25 %) est particulièrement riche en graphoéléments lents appelés ondes lentes delta.
Sommeil paradoxal
Il succède au SL et survient en fin de cycle. L'activité électrique cérébrale en SP est désynchronisée, comme en veille, d'où son nom sommeil « paradoxal ». Il contient des ondes « en dents de scie », graphoéléments caractéristiques de ce stade. En SP, le tonus musculaire est au plus faible, en atonie. On observe des mouvements oculaires rapides sous les paupières et c'est pendant le SP que surviennent les périodes de rêve. Une activité mentale survient également en SL mais cette activité est plus simple et nettement moins riche. Les cycles de début de nuit sont riches en SLP qui reflète la pression de sommeil. Le SP est plus abondant dans les derniers cycles.
Régulation du cycle veille-sommeil
La survenue du sommeil et celle de la veille sont sous l'influence de plusieurs mécanismes de régulation (figure 5.3).
- Le processus homéostatique S ou pression de sommeil est un processus cumulatif qui, tel un sablier, augmente en veille comme si une substance sleep s'accumulait, et diminue lors de la survenue d'un épisode de sommeil. L'intensité en ondes lentes delta du SLP reflète cette pression de sommeil.
- Le processus circadien C est sous le contrôle de l'horloge biologique avec une pression circadienne de sommeil maximale entre 1 et 5 h du matin et, à moindre degré, en début d'après-midi entre 14 et 16 h.
- La régulation photique est un troisième mécanisme important, la lumière agissant à deux niveaux, indirect en synchronisant l'horloge et direct exerçant un effet éveillant et stimulant la qualité de l'éveil alors que l'obscurité facilite le sommeil.
- D'autres facteurs interviennent dans la régulation de la veille et du sommeil, comme la position allongée, la température etc.

Figure 5.3
Évolution au cours du nycthémère du processus homéostatique (pression du sommeil)
et du processus circadien (pression de l'éveil) et représentation du niveau de la vigilance.
© Dauvilliers Y. Les troubles du sommeil, 3e édition. Paris : Elsevier Masson ; 2019.
On appelle chronotype du matin la préférence d'une personne à être « couche-tôt » et en forme le matin, et chronotype du soir celle d'être « couche-tard » et en forme le soir. Le chronotype est globalement plus matinal chez les enfants et chez la personne âgée. Le rythme circadien veille-sommeil se décale au cours de l'adolescence et un chronotype plus tardif est fréquent chez l'adulte jeune.
La durée de sommeil d'un adulte est en moyenne de 7,5 heures avec une grande variabilité, entre 6 (court dormeur) et 10 heures (long dormeur), essentiellement aux dépens du SLL. Le temps de sommeil et le nombre de cycles de sommeil diminuent de la naissance jusqu'à l'âge avancé et le sommeil devient davantage fragmenté au grand âge.
Exploration sémiologique d'un trouble veille-sommeil
Elle repose essentiellement sur l'anamnèse et l'observation.
- Nature du symptôme : insomnie, sommeil insuffisamment réparateur, allongement du besoin de sommeil, phénomènes moteurs pendant le sommeil, somnolence en journée.
- Mode d'installation insidieux ou aigu, évolution stable ou fluctuante.
- Fréquence, circonstances et horaires de survenue des symptômes.
- Présence d'endormissements ou d'envies de dormir inappropriés, accidents ou incidents liés à la somnolence (somnolence au volant, endormissement au travail, accident de travail), répercussions sur le fonctionnement global.
- Régularité et horaires du coucher et du lever, latence à l'endormissement, réveils nocturnes ; réveil matinal précoce, inertie du sommeil au réveil (notamment en cas de réveil forcé).
- Réalisation de siestes en journée (durée, caractère rafraîchissant), qualité de l'éveil en journée.
Points clés
- La rythmicité circadienne est générée par notre horloge biologique et synchronisée au rythme jour-nuit grâce à des « donneurs de temps » externes, dont l'alternance lumière-obscurité.
- La sécrétion de la mélatonine a lieu pendant la nuit et elle est inhibée par la lumière.
- La pression homéostatique de sommeil augmente en fonction du temps passé en éveil et la pression circadienne de sommeil est maximale au milieu de la nuit. L'obscurité favorise le sommeil et la lumière a un effet éveillant.
- Le besoin de sommeil peut varier d'un individu à l'autre, tout comme le chronotype. De manière générale, le chronotype devient plus tardif à l'adolescence et il est plus matinal chez l'enfant et la personne âgée.
Voir QRM chapitre 32.
Pour en savoir plus
Dauvilliers Y. Les troubles du sommeil, 3e éd. Paris : Elsevier Masson ; 2019.