Jean-Philippe Désilles , Solène Hébert et Mikael Mazighi
Rappels de l'anatomie artérielle cervicoencéphalique
Les artères cervicales à destinée encéphalique naissent de la crosse de l'aorte et comprennent quatre vaisseaux principaux : deux artères carotides primitives naissant du tronc artériel brachiocéphalique à droite et directement de l'aorte à gauche, et deux artères vertébrales qui naissent des artères subclavières (sous-clavières).
Les artères carotides communes (ou primitives) se terminent en regard du corps vertébral C4 et se divisent en deux artères : l'artère carotide interne (ACI) et l'artère carotide externe (ACE). Cette dernière donne naissance à de nombreuses branches à destinées de la face et du crâne. L'ACI comporte quatre segments principaux : le bulbe, le segment cervical sus-bulbaire (ou sous-pétreux), le segment intrapétreux et le siphon. Elle, n'a aucune branche dans son trajet cervical. Au niveau du siphon, elle donne naissance à trois artères principales : l'artère ophtalmique, l'artère communicante postérieure et l'artère choroïdienne antérieure, puis se termine en se divisant en deux artères, l'artère cérébrale moyenne (ACM) (ou artère sylvienne selon l'ancienne nomenclature) latéralement et l'artère cérébrale antérieure (ACA) médialement.
À noter qu'en fonction du segment artériel, différentes pathologies doivent être recherchées. Par exemple, le bulbe et le siphon carotidien sont les sites privilégiés de l'athérome tandis que le segment sus-bulbaire est le site le plus fréquent d'une dissection carotidienne. L'athérome est une maladie chronique de la paroi des artères de gros calibres aboutissant à la formation d'une plaque ou d'une sténose athéromateuse. Cette pathologie est responsable de près de 30 % des AVC ischémiques. La dissection est une maladie aiguë du sujet jeune correspondant à la formation d'un hématome dans la paroi artérielle à la suite de l'apparition d'une brèche focale de l'intima. C'est la cause la plus fréquente d'AVC ischémique chez le sujet jeune de moins de 50 ans.
Les artères vertébrales comprennent cinq segments distincts avant de fusionner sur la ligne médiane en intracrânien pour former l'artère basilaire. Le segment V0 correspond à l'ostium, le segment V4 à la portion terminale et intracrânienne. Ces deux segments sont les sièges privilégiés de l'athérome. Les segments cervicaux V2 (intertransversaires) et V3 (contournant C1 et C2) sont les sièges principaux de dissection vertébrale. L'artère basilaire (ou tronc basilaire) donne naissance à de nombreuses artères perforantes courtes et longues qui alimentent le tronc cérébral ainsi qu'aux artères cérébelleuses inférieures (postéro-inférieures), moyennes et supérieures, puis se termine en se divisant en deux artères cérébrales postérieures droite et gauche.
Le cercle artériel de la base du cerveau (polygone de Willis) est un cercle anastomotique artériel situé à la base du crâne réalisant des anastomoses entre les deux circulations carotidiennes et la circulation vertébrobasilaire permettant une suppléance, la plupart du temps suffisante, en cas d'occlusion artérielle en amont. Ce cercle anastomotique est composé de la terminaison des ACI, des segments proximaux des artères cérébrales antérieures (A1), de l'artère communicante antérieure, des artères communicantes postérieures droite et gauche et des segments proximaux des artères cérébrales postérieures (P1). Néanmoins, il existe une grande variabilité interindividuelle du cercle artériel de la base du cerveau. Celui-ci n'est en effet complet que chez 50 % de la population (figure 22.1).

Figure 22.1
Illustration représentant les artères cervicoencéphaliques.
ACM : artère cérébrale moyenne ; ACA : artère cérébrale antérieure ; ACC : artère carotide commune ; ACE : artère carotide externe ; ACh : artère choroïdienne antérieure ; ACI : artère carotide interne ; AcoA : artère communicante antérieure ; AcoP : artère communicante postérieure ; ACP : artère cérébrale postérieure ; TABC : tronc artériel brachiocéphalique ; TB : tronc basilaire.
Illustration originale du Dr Solène Hébert.
Choix des modalités d'exploration paraclinique
Quatre modalités complémentaires d'exploration des artères cervicoencéphaliques sont disponibles : l'échographie doppler, l'angio-TDM, l'angio-IRM et l'angiographie conventionnelle. L'indication de chacune de ces modalités dépend du contexte clinique, de la disponibilité et de la question posée. Il est parfois nécessaire d'utiliser plusieurs modalités afin d'explorer une même lésion artérielle du fait du caractère complémentaire de chacune de ces modalités. Nous exposons dans ce chapitre les principales caractéristiques de ces quatre modalités.
Échodoppler artériel cervical et intracrânien
Principes généraux
Il s'agit d'une imagerie non invasive reposant sur les ultrasons. Elle peut être notamment réalisée dans certains services d'hospitalisations spécialisés tels que les unités de soins intensifs de neurologie vasculaire et les services de réanimation neurochirurgicale.
Après application d'un gel échographique favorisant la transmission acoustique, une sonde échographique est posée sur le cou en regard des différents trajets artériels cervicaux et au niveau orbitaire, temporal et sous-occipital pour l'analyse des vaisseaux intracrâniens.
La sonde échographique émet des ultrasons et reçoit leurs échos après la rencontre des différentes structures parenchymateuses. Cela permet la construction d'une image morphologique contrastée de gris selon les différentes caractéristiques de transmission ultrason des tissus. Cette fonctionnalité permet l'appréciation de l'échostructure du vaisseau ainsi que du matériel endoluminal ou pariétal présent (plaque d'athérome par exemple). La fonction doppler couleur permet de visualiser en couleur l'afflux sanguin et le remplissage des vaisseaux, alors que le doppler pulsé permet quant à lui une évaluation vélocimétrique du flux sanguin et la création d'un spectre de vitesse (figure 22.2).

Figure 22.2
Exemple d'un examen en échodoppler artériel cervical et intracrânien.
A. Image montrant le bulbe carotidien. B. Mesure des vitesses du flux sanguin dans le segment proximal de l'artère cérébrale moyenne droite.
© Jean-Philippe Désilles.
Principales indications
- Bilan étiologique d'un AVC ischémique ou d'un accident ischémique transitoire (AIT).
- Évaluation de l'hémodynamique artérielle intracrânienne.
- Dépistage du vasospasme artériel intracrânien post-hémorragie subarachnoïdienne (HSA).
- Dépistage, diagnostic et suivi d'une sténose artérielle cervicale et/ou intracrânienne en prévention primaire ou secondaire.
Forces et limites
Forces
- Cet examen peut être répété sans restriction car il s'agit d'un examen non invasif, non irradiant et ne nécessitant pas d'injection de produit de contraste. Il n'est donc associé à aucun risque ni aucune contre-indication.
- Il peut être réalisé au lit du patient et en urgence avec une très bonne disponibilité à la fois dans les cabinets de ville et dans les services hospitaliers.
- Il permet une très bonne visibilité de la paroi des bulbes carotidiens pour le dépistage des plaques athéromateuses et le suivi.
- Le doppler permet une évaluation hémodynamique des lésions artérielles identifiées, à la fois au niveau cervical et en intracrânien.
Limites
- Il existe une variabilité interopérateur de la qualité des examens, ce qui limite les comparaisons pour le suivi longitudinal.
- La transmission des ultrasons au travers des structures osseuses est très mauvaise, ce qui limite les utilisations pour l'exploration des artères intracrâniennes, des segments artériels extracrâniens à proximité de structures osseuses (ex : artère carotide interne sous-pétreuse, trajet intertransversaire des vertébrales), et pour les artères calcifiées.
- Il existe une variabilité interindividuelle de l'échogénicité, notamment de la fenêtre osseuse transtemporale (environ 10 % de patients sans fenêtre temporale acoustique suffisante).
Angio-IRM artérielle cervicale et intracrânienne
Principes généraux
Il s'agit d'une imagerie non invasive reposant sur les propriétés de résonance magnétique des tissus. Cet examen s'effectue dans la majorité des centres d'imagerie hospitaliers et dans certains centres d'imagerie de ville.
L'acquisition s'effectue au sein de l'anneau de l'IRM sans injection ou après injection intraveineuse d'un bolus de produit de contraste de gadolinium. Il existe en effet deux séquences d'angio-IRM :
- la séquence en temps de vol (ToF) et ne nécessite pas d'injection. Son acquisition requiert en revanche plusieurs minutes pour être obtenue et une bonne immobilité de la tête du patient. Il s'agit d'une imagerie de flux ;
- l'angiographie injectée par IRM (appelée angiographie par résonance magnétique –ARM – au gadolinium). Elle correspond à l'acquisition d'un volume en coupes millimétriques jointives.
Ces deux séquences permettent la génération de reconstructions en 3D par les logiciels de lecture et d'interprétation d'imagerie médicale (figure 22.3).

Figure 22.3
Exemple d'une angio-IRM cérébrale.
A. Angio-IRM des troncs supra-aortiques après injection d'un bolus de gadolinium. B. Angio-IRM du cercle artériel de la base du cerveau (polygone de Willis) en ToF. C. Séquence IRM 3D T1 TSE permettant la visualisation d'un hématome de paroi en cas de dissection artérielle (flèche : paroi normale de l'artère carotide interne gauche). ToF : time of flight ; TSE : turbo spin echo.
© Jean-Philippe Désilles.
Principales indications
- Bilan initial d'une suspicion d'AVC en urgence.
- Bilan étiologique d'un AIT, d'un AVC ischémique et d'un AVC hémorragique.
- Évaluation du degré de sténose d'une lésion artérielle cervicale ou intracrânienne.
- Surveillance d'une sténose artérielle cervicale ou intracrânienne en prévention primaire ou secondaire.
- Diagnostic et surveillance des malformations vasculaires intracrâniennes comme les anévrismes artériels intracrâniens.
Forces et limites
Forces
- Il s'agit de la seule modalité qui permet de réaliser une imagerie artérielle intracrânienne en coupes sans injection.
- Cet examen peut être répété sans restriction car non invasif et non irradiant.
- L'examen couplé à l'acquisition des autres séquences parenchymateuses de l'IRM cérébrale permet une évaluation globale et exhaustive des vaisseaux et du parenchyme cérébral.
Limites
- La disponibilité de l'IRM est variable selon les centres pour son utilisation en urgence.
- L'acquisition nécessite plusieurs minutes et la qualité des acquisitions est très artefactée par les mouvements du patient.
- Il est difficile, voire impossible de réaliser cet examen en cas de claustrophobie chez certains patients liée au positionnement de la tête au sein du tube de l'IRM et à la durée prolongée de l'examen.
- Les contre-indications sont liées à l'utilisation d'un champ électromagnétique puissant : patients porteurs d'un pacemaker et de certains implants métalliques (ex : valve cardiaque, prothèse orthopédique).
Angio-TDM (ou angioscanner) artérielle cervicoencéphalique
Principes généraux
Il s'agit d'une imagerie non invasive reposant sur l'émission de rayons X. Cette technique consiste à mesurer l'absorption des rayons X par les tissus et à reconstituer des images 2D et 3D des structures anatomiques. L'acquisition s'effectue au sein de l'anneau du scanner après injection intraveineuse d'un bolus de produit de contraste iodé. Cet examen est disponible dans tous les centres hospitaliers et dans la grande majorité des centres de ville. L'acquisition est obtenue en moins d'une minute.
Il s'agit d'une acquisition hélicoïdale d'un volume en coupes millimétriques jointives permettant la génération de reconstruction en 3D par les logiciels de lecture et d'interprétation d'imagerie médicale (figure 22.4).

Figure 22.4
Exemple d'angio-TDM cervicale et intracrânienne.
A. Vue de profil d'une reconstruction de l'angio-TDM. B. Reconstruction axiale des artères du cercle artériel de la base du cerveau (polygone de Willis).
© Jean-Philippe Désilles.
Principales indications
- Bilan initial d'une suspicion d'AVC en urgence, notamment lorsque l'IRM cérébrale n'est pas disponible ou non réalisable (patient agité ou présentant des vomissements, patient intubé avec ventilation mécanique).
- Bilan étiologique d'un AIT, d'un AVC ischémique et d'un AVC hémorragique.
- Évaluation du degré de sténose d'une lésion artérielle cervicale ou intracrânienne.
- Diagnostic du vasospasme artériel intracrânien post-HSA.
Forces et limites
Forces
- La définition spatiale est très bonne.
- L'acquisition est rapide et l'examen en urgence facilement disponible.
Limites
- Il s'agit d'un examen irradiant et nécessitant une injection de produit de contraste iodé, ce qui limite son utilisation répétée pour le suivi.
- La qualité de l'image est artefactée par les structures osseuses et calcifiées adjacentes aux vaisseaux.
- L'évaluation concomitante du parenchyme cérébral est de qualité très inférieure à celle de l'IRM.
- Les contre-indications sont liées :
- à l'irradiation : femme enceinte ou probabilité de grossesse ;
- à l'injection de produit de contraste iodé : insuffisance rénale sévère, allergie connue au produit de contraste iodé, hyperthyroïdie non traitée, insuffisance cardiaque sévère, myélome multiple, cirrhose. Ces contre-indications sont relatives et dépendantes de l'indication de l'examen et de son caractère urgent, voire vital.
- Il existe un risque d'acidose lactique chez les patients diabétiques sous metformine qu'il faut suspendre pendant 48 heures après l'examen.
Angiographie conventionnelle
Principes généraux
Il s'agit également d'une imagerie reposant sur l'émission de rayons X. L'angiographie conventionnelle est un examen invasif qui nécessite une ponction artérielle radiale ou fémorale et la navigation transartérielle d'un cathéter jusque dans les artères carotides internes et les artères vertébrales. Cet examen s'effectue exclusivement au sein d'un bloc de radiologie interventionnelle.
Il permet l'obtention de radiographies séquentielles dans un ou deux plans de l'espace simultanément après injection intra-artérielle d'un bolus de produit de contraste iodé. Chaque acquisition est obtenue en moins d'une minute. Il est également possible de réaliser un volume en coupes millimétriques jointives permettant la génération de reconstructions 3D par les logiciels de lecture et d'interprétation d'imagerie médicale.
L'ensemble de l'examen est réalisé en environ 1 heure et nécessite une hospitalisation de jour ou d'une nuit pour la surveillance du point de ponction artérielle (figure 22.5).

Figure 22.5
Exemple d'angiographie cérébrale conventionnelle.
A. Vue de profil d'une injection de l'artère carotide commune permettant une visualisation des artères carotides internes et externes ainsi que de leurs principales branches. B. Vue de face après injection sélective dans l'artère carotide interne gauche permettant une visualisation des différentes branches artérielles intracrâniennes de la circulation antérieure.
© Jean-Philippe Désilles.
Principales indications
- Réalisation d'une thrombectomie cérébrale (intervention visant à retirer un caillot obstruant les artères cérébrales) en urgence.
- Bilan préthérapeutique avant angioplastie-stenting carotidien.
- Diagnostic et bilan préthérapeutique d'un vasospasme artériel intracrânien.
- Bilan étiologique d'un AVC ischémique cryptogénique du sujet jeune.
- Diagnostic et bilan préthérapeutique des malformations vasculaires cérébrales (anévrismes intracrâniens, fistules durales artérioveineuses et malformations artérioveineuses cérébrales).
Forces et limites
Forces
- C'est l'examen de référence car disposant de la meilleure résolution spatiale et temporelle.
- L'acquisition dynamique permet une évaluation du flux artériel, parenchymateux et du retour veineux.
- Il s'agit d'un examen à visée thérapeutique ou préthérapeutique dans la plupart des cas.
Limites
- L'examen est invasif avec risques de complications vasculaires périphériques et neurologiques.
- Il est irradiant et nécessite des injections multiples de produit de contraste iodé.
- Ses contre-indications et précautions sont similaires à celles de l'angio-TDM, liées à l'utilisation des rayons X et d'un produit de contraste iodé.
Conclusion
La réalisation des explorations paracliniques adéquates des artères cervicales et intracrâniennes est capitale pour la prise en soins des patients présentant un AVC (ischémique ou hémorragique) pour une évaluation optimale des lésions vasculaires et de l'hémodynamique du flux sanguin. Les résultats de ces explorations guident la prise en soins thérapeutique en urgence et permettent d'ajuster les traitements pour prévenir la récidive. Une bonne connaissance de ces différentes modalités, des caractéristiques de chacune et de leur complémentarité est donc centrale pour le travail du neurologue.
- Une parfaite connaissance de l'anatomie artérielle cervicale et intracrânienne est un prérequis impératif.
- Il existe quatre modalités d'exploration des artères cervicales et intracrâniennes : l'échodoppler, l'angio-IRM, l'angio-TDM (ou angioscanner) et l'angiographie conventionnelle.
- Ces modalités d'imagerie sont complémentaires et présentent chacune des forces et des limites.
- En cas de suspicion d'AVC, une angio-IRM ou à défaut une angio-TDM doit être réalisée en urgence.
Voir QRM chapitre 32.