Olivier Godefroy et Mathieu Ceccald
La sémiologie des troubles des fonctions cognitives (parfois aussi appelées fonctions supérieures) et du contrôle du comportement est subdivisée en deux parties : les troubles d'une seule fonction (parmi lesquels les troubles du langage, de l'exploration spatiale, de la mémoire et des fonctions exécutives de contrôle cognitif et comportemental sont les plus importants pour le clinicien) et les syndromes confusionnels et démentiels qui affectent habituellement plusieurs fonctions cognitives (et détaillés dans le Référentiel du Collège des enseignants de neurologie destiné aux étudiants du 2e cycle des études de médecine.
Les fonctions cognitives sont sous-tendues par les structures hémisphériques corticales (notamment le néocortex associatif) et sous-corticales (striatum, thalamus et substance blanche, en particulier du centre ovale) et elles requièrent un transfert interhémisphérique des informations assuré par le corps calleux. Il existe une asymétrie fonctionnelle des deux hémisphères dont témoigne la latéralité manuelle (le plus souvent en faveur de la main droite) ainsi que, chez le droitier, le rôle dominant de l'hémisphère gauche pour le langage et de l'hémisphère droit pour l'exploration spatiale.
L'atteinte des fonctions cognitives constitue le motif de prise en soins de nombreuses affections et leur identification permet le diagnostic positif et étiologique de nombreuses pathologies neurologiques. L'étape clinique constitue un temps essentiel du diagnostic et elle doit être le plus souvent complétée par des tests effectués par un neuropsychologue ou orthophoniste selon le cas. Leurs perturbations entraînent des difficultés scolaires, professionnelles, voire une perte d'autonomie qui doit être identifiée. Enfin certains troubles peuvent être atténués par une rééducation spécifique.
L'examen des fonctions cognitives nécessite, plus que tout autre étape de l'examen neurologique, une bonne coopération du patient : cela implique que la vigilance soit préservée, que la compréhension orale ne soit pas trop perturbée et qu'il n'y ait pas d'opposition ou de troubles comportementaux trop importants.
Le tableau 10.1 présente les fonctions étudiées couramment en clinique, les régions cérébrales associées, les noms des troubles (en séparant les déficits d'acquisition de l'enfant et les déficits acquis) et les temps principaux de l'examen clinique. L'examen clinique est utilement complété par un test de repérage comme le Mini mental state examination (MMSE).
Tableau 10.1
Principales fonctions cognitives, régions critiques, déficits et temps de l'examen clinique.
Fonction | Anatomie | Déficit d'acquisition | Déficit acquis | Examen clinique |
---|---|---|---|---|
Langage | H. gauche 1 | Dysphasie | Aphasie | Interrogatoire, répétition, dénomination, désignation |
Parole (articulation) | Systèmes moteurs et coordination | Dysarthrie | ||
Voix | Dysphonie | |||
Écriture | H. gauche 1 | Dysgraphie | Agraphie | |
Lecture | H. gauche 1 | Dyslexie | Alexie | |
Calcul | H. gauche et droit 1 | Dyscalculie | Acalculie | |
Gestualité | H. gauche 1 | Dyspraxie | Apraxie gestuelle | Réalisation de gestes |
Dessin et activités constructives | H. gauche et droit 1 | Dyspraxie | Apraxie constructive | Dessin |
Exploration spatiale | H. droit 1 | Héminégligence visuospatiale | Examen, test de barrage | |
H. gauche et droit 1 | Syndrome de Balint | |||
Conscience d'un déficit | Lobes temporopariétaux et frontaux | Anosognosie | Interrogatoire : déficit ? | |
Schéma corporel conscient | H. droit 1 | Asomatognosie | ||
Intégration et identification perceptive | H. gauche et droit 1 | Agnosie | ||
Mémoire | Circuit HMTF | Amnésie | Interrogatoire (oublis), apprentissage de mots | |
Fonctions de contrôle | Frontale et sous-corticale | Trouble déficitaire de l'attention | Syndrome dysexécutif | Troubles comportementaux, agrippement, imitation |
Et attentionnelles | SRAA et H. droit | Confusion | Examen, CAM |
CAM : confusion assessment method ; H. : hémisphère ; HMTF : circuit hippocampo-mamillo-thalamo-frontal ; SRAA : système réticulé activateur ascendant.
1 Chez le droitier.
Langage
Le cerveau humain (principalement au niveau de l'hémisphère gauche chez le droitier) traite les informations linguistiques : sons élémentaires de la langue appelés phonèmes (en général au nombre d'une quarantaine dans chaque langue), mots et syntaxe. Ces traitements permettent de s'exprimer (oralement ou à l'écrit) ainsi que le décodage et l'accès à la signification du langage reçu (oralement ou en lecture).
Examen du langage
Il repose sur l'examen de l'expression et de la compréhension orale. L'expression orale est évaluée durant l'interrogatoire qui est utilement complété par une épreuve de dénomination d'objets usuels présentés visuellement (ex : « stylo, ciseaux, montre, crayon, lunette… ») ou de répétition de mots (ex : « stylo, nouilles, spectacle, embonpoint, exceptionnel… ») qui permettent d'affirmer plus précisément les perturbations. Le trouble de la compréhension orale est suspecté chez un patient faisant répéter à plusieurs reprises, répondant de façon inadaptée ou exécutant de façon erronée les consignes en l'absence d'autre explication évidente comme la surdité. L'examen repose sur une désignation d'objets usuels (ex : « montrez-moi le stylo, la porte… ») et l'exécution d'ordres de complexité croissante (ex : phrase du MMSE – Mini mental state examination – « prenez cette feuille de papier avec la main droite, pliez-la en deux et jetez-la par terre »).
Le diagnostic du trouble du langage, aisé à l'examen clinique dans les formes franches, nécessite une évaluation spécialisée avec des tests de langage (effectués par les orthophonistes) qui permet de diagnostiquer plus finement les troubles discrets, de typer précisément le profil des troubles et surtout de quantifier leur importance. Il constitue un prérequis à la rééducation du langage.
Les troubles du langage oral différencient la dysarthrie qui correspond à un trouble isolé de l'articulation du langage (stade ultime de l'expression orale) et l'aphasie qui correspond à un trouble de l'utilisation d'une langue acquise. La dysphonie n'est pas développée ici ; elle constitue un trouble de la voix (aphonie, hypophonie dysphonie, voix bitonale, etc.) en relation avec une atteinte des cordes vocales ou de leur contrôle neurologique lié à une atteinte du nerf X (nerf vague), pyramidale (syndrome pseudobulbaire) ou extrapyramidale.
Dysarthrie
Diagnostic positif
- Il est le plus souvent évident face à un trouble isolé de l'articulation. Ce trouble ne concerne donc qu'un stade tardif de l'expression orale.
- L'articulation du langage est déformée en raison d'une motricité bucco-linguo-faciale dysharmonieuse. Cela donne l'impression que le patient « accroche » ou « bute » sur les sons des mots ou que certaines syllabes sont prononcées de façon explosive ou, au contraire, « avalées ».
- Le retentissement sur l'intelligibilité peut varier de mineur, seulement détecté par le patient et ses proches, à majeur, empêchant au maximum l'expression orale (le patient pouvant alors compenser par l'expression écrite).
Diagnostic topographique
Les dysarthries sont observées en cas de lésion ou dysfonction des multiples systèmes permettant une motricité fine, rapide et harmonieuse ; le niveau de l'atteinte influence les caractéristiques cliniques. On distingue très schématiquement :
- la dysarthrie parétique observée au cours du déficit facial, bulbaire ou pseudobulbaire ;
- la dysarthrie parkinsonienne et des affections extrapyramidales qui s'accompagnent volontiers d'une hypophonie ;
- la dysarthrie cérébelleuse volontiers scandée et explosive.
Aphasie
Diagnostic positif
Les troubles de l'expression orale associent à des degrés divers des troubles du débit de langage (troubles quantitatifs) et des déformations de la production du langage (troubles qualitatifs) :
Troubles quantitatifs
Débit de langage réduit
- La production de langage est limitée à des phrases simples et courtes, voire à 1 ou 2 mots (Examinateur : « Qu'est-ce qui vous amène à l'hôpital ? » Patient : « parle mal ») ; au maximum, elle réalise un mutisme aphasique où le patient tente de s'exprimer par des gestes plus ou moins compréhensibles.
- La production nécessite souvent une incitation de l'examinateur.
- La réduction de débit est caractéristique des aphasies non fluentes, parmi lesquelles les aphasies globales et de Broca sont les plus fréquentes.
Débit de langage normal ou augmenté
- Le débit est le plus souvent normal ; de façon rare, l'augmentation de débit réalise une véritable logorrhée avec de nombreuses déformations.
- La préservation ou l'augmentation de débit caractérise les aphasies fluentes parmi lesquelles l'aphasie de Wernicke est la plus fréquente.
Troubles qualitatifs
Les « déformations » aphasiques associent à des degrés divers :
- troubles de l'articulation, qui ne sont pas isolés à la différence de la dysarthrie ;
- paraphasies phonémiques : erreurs de sélection des sons (phonèmes) constitutifs d'un mot (ex : « balavo » pour lavabo) ;
- néologisme : réalise une association de déformations dont la nature n'est plus identifiable (ex : « flitak » pour crayon) ; le terme de jargonaphasie est utilisé lorsque l'ensemble du langage devient incompréhensible en raison de nombreuses déformations et néologismes (ex : « flitak tailli nadabulle ») ;
- paraphasies verbales : erreurs de sélection d'un mot, souvent remplacé par un mot proche (ex : « oiseau pour canard ; « table pour chaise) ;
- manque du mot : le sujet n'arrive pas à produire le mot requis, parfois avec « l'impression de l'avoir sur le bout de la langue » ; le mot manquant est souvent remplacé par une périphrase (ex : « pour écrire pour stylo) ;
- la recherche de troubles de l'écriture (agraphie) et de la lecture (alexie) est très utile en cas de doute sur la présence d'une aphasie car les troubles du langage écrit sont souvent plus sévères que ceux du langage oral.
Ces perturbations sont analysées lors de l'examen clinique qui doit être complété par un bilan orthophonique : celui-ci doit donc être effectué chez tous les patients aphasiques (ou dysarthriques) car il permet d'analyser plus précisément les troubles en les quantifiant (ce qui est également utile pour suivre l'évolution), de classer les troubles en un syndrome aphasique et il constitue un préalable à la rééducation des troubles du langage
Typer l'aphasie en syndrome aphasique
À l'issue de l'examen clinique des troubles aphasiques, il est souvent utile de typer l'aphasie en fonction de l'association des troubles observés. Parmi les nombreux syndromes aphasiques, trois sont fréquemment rencontrés notamment dans les situations d'urgence telles que les AVC : les aphasies de Broca (constituant un type emblématique d'aphasie motrice), Wernicke (qui constitue un type emblématique d'aphasie sensitive) et globale ; elles sont aisément différenciées selon leurs caractéristiques cliniques (tableau 10.2). Très schématiquement, l'aphasie globale associe les caractéristiques des aphasies de Broca et Wernicke, elle est la plus sévère et une des plus fréquente à la phase aiguë d'une lésion cérébrale.
Tableau 10.2
Caractéristiques générales des trois principaux syndromes aphasiques.
Aphasie de Broca | Aphasie de Wernicke | Aphasie globale | |
---|---|---|---|
Expression orale : débit | Non fluente | Fluente | Non fluente |
Principales déformations | Articulation | Paraphasies, néologisme | Production nulle ou limitée à de rares mots |
Compréhension orale | Préservée | Déficit | Déficit |
Répétition | Déficit | Déficit | Déficit |
Conscience du déficit | Préservée | Anosognosie | Anosognosie |
Lésion | Frontale | Temporale | Frontotemporale |
Diagnostic différentiel
L'aphasie doit être distinguée de :
- la dysarthrie qui réalise un trouble isolé de l'articulation ;
- le mutisme akinétique, qui diffère du mutisme aphasique (forme majeure de l'aphasie non fluente) par l'absence de tentative de communication en particulier par les gestes et le regard ;
- la confusion mentale qui peut parfois poser des problèmes diagnostiques avec l'aphasie de Wernicke sévère associant logorrhée et nombreuses paraphasies ; cependant, l'aphasie réalise un trouble du langage alors que la confusion concerne l'ensemble des fonctions cognitives et s'associe à un déclin modéré de vigilance (cf. référentiel du Collège des enseignants de neurologie destiné aux étudiants du 2e cycle des études de médecine) ;
- la surdité par atteinte otologique, aisément différenciée des troubles de la compréhension orale aphasique ; toutefois, une évaluation neurologique approfondie est nécessaire pour diagnostiquer les rares surdités par atteinte cérébrale (appelées surdité corticale, cf. infra) sans aphasie associée.
Diagnostic topographique
L'aphasie traduit une lésion ou dysfonction corticale ou sous-corticale des régions périsylviennes de l'hémisphère gauche chez le droitier ; en pratique, cela concerne les régions frontale latérale (incluant la partie postérieure de la 3e circonvolution frontale appelée aire de Broca), temporale latérale (incluant la partie postérieure des deux premières circonvolutions temporales appelée aire de Wernicke), du striatum, du thalamus et la substance blanche sous-corticale. L'aphasie peut survenir brutalement ou de manière progressive, ce qui est à prendre en compte pour le diagnostic étiologique.
Apraxies
Les apraxies correspondent à l'atteinte de la combinaison de séquences d'actions en un ensemble finalisé non expliquée par un déficit sensorimoteur ; en pratique, on distingue les apraxies gestuelle, constructive et de l'habillage.
Apraxies gestuelles (motrice, idéomotrice, idéatoire)
Elles réalisent une perturbation des gestes acquis non expliquée par un désordre moteur ou perceptif. Leu examen repose sur la réalisation de gestes sur imitation ou commande verbale qui peuvent être des gestes :
- élémentaires (pianoter, faire l'anneau avec le pouce et l'index, etc.) ;
- d'utilisation d'objets (peigne, brosse à dents, clé, scie, etc.) ;
- symboliques (au revoir de la main, menacer du poing, etc.).
Selon le niveau de perturbation, elles sont classées en apraxie motrice (gestes élémentaires), idéomotrice (gestes avec l'utilisation d'objets) et idéatoire (gestes symboliques).
Diagnostic positif
- Il repose sur l'observation de perturbations de l'exécution des gestes : le patient commençant un geste sans l'achever, ou reproduisant de façon inappropriée un geste effectué précédemment.
- Facile dans les formes franches, il nécessite une évaluation spécialisée dans les formes plus équivoques.
Diagnostic différentiel
Il nécessite de s'assurer que les troubles ne sont pas expliqués par un déficit moteur, extrapyramidal, proprioceptif ou cérébelleux.
Diagnostic topographique
Les apraxies motrices s'expriment typiquement sur l'hémicorps controlésionnel ; les apraxies idéomotrice et idéatoire s'expriment de façon bilatérale et témoignent habituellement d'une lésion de l'hémisphère gauche (des régions temporale, pariétale ou frontale) chez le droitier.
Apraxie constructive (ou visuoconstructive)
Elle réalise une perturbation des activités graphiques et de construction tridimensionnelle (agencement de cubes) non expliquée par un désordre moteur ou perceptif. Elle est mise en évidence par la réalisation de dessins effectués sur copie ou sur ordre verbal : il peut s'agir de dessins simples (carré, cercle, marguerite, etc.) et éventuellement plus complexes (cadran d'horloge, agencement de triangles, dessin de figure complexe de Rey, agencement de cubes, etc.).
Diagnostic positif et différentiel
Il repose sur la mise en évidence d'une désorganisation (orientation des traits, structure générale du dessin, mise en page, etc.) du dessin (figure 10.1).

Figure 10.1
Apraxie visuoconstructive.
La copie de triangles enchevêtrés (A) est effectuée par un patient (B) atteint d'une apraxie constructive comme le montrent la désorganisation globale des axes des triangles et les erreurs d'agencements entre eux.
Le diagnostic différentiel nécessite de s'assurer que les perturbations ne sont pas expliquées par un trouble moteur, extrapyramidal, cérébelleux ou perceptif.
Diagnostic topographique
- L'apraxie constructive est classiquement associée aux lésions hémisphériques droites, mais peut en fait être observée dans des lésions des deux hémisphères.
- Les lésions peuvent concerner de multiples régions cérébrales, les perturbations les plus sévères s'observent principalement au cours des lésions temporopariétales.
Apraxie de l'habillage
Elle réalise un trouble rare de l'habillage non expliqué par un déficit moteur ou perceptif.
Diagnostic positif
Il repose sur l'interrogatoire et l'observation de perturbations durant l'habillage avec notamment des erreurs de position des habits par rapport au corps (ex : membre supérieur droit dans la manche gauche) et des erreurs d'agencement entre habits (ex : pull au-dessus de la veste).
Diagnostic différentiel
Il repose sur l'exclusion des troubles moteurs et perceptifs.
Diagnostic topographique
- L'apraxie de l'habillage est rare et est surtout observée au cours des lésions temporopariétales.
- Les formes les plus sévères s'observent dans les lésions bilatérales, des formes plus modérées sont observées au cours de lésion unilatérale droite chez le droitier.
Exploration visuospatiale et héminégligence visuospatiale
L'exploration spatiale et la détection d'une information dans l'espace (ex : détecter l'approche d'un véhicule arrivant rapidement sur le côté) paraissent automatiques mais elles ne sont possibles que grâce au système attentionnel spatial qui réalise un balayage permanent des informations sensorielles. Chaque hémisphère balaie préférentiellement l'hémiespace controlatéral, ce qui explique que l'héminégligence concerne l'hémiespace opposé à la lésion. Ce système attentionnel spatial dépend préférentiellement de l'hémisphère droit chez le droitier, ce qui explique que l'héminégligence est plus fréquente et durable dans les lésions de l'hémisphère droit.
L'héminégligence visuospatiale réalise un déficit de perception des informations (qui sont donc négligées) provenant d'un hémiespace (gauche ou droit) et d'orientation des mouvements dirigés vers un hémiespace (gauche ou droit). Le côté de l'hémiespace négligé est controlatéral à la lésion. L'héminégligence concerne surtout l'hémiespace gauche puisque les lésions responsables atteignent plus fréquemment l'hémisphère droit. L'héminégligence est fréquente et s'observe notamment au cours des lésions aiguës de l'hémisphère droit où sa présence constitue un signe de gravité.
L'héminégligence est évoquée chez un patient méconnaissant les objets situés dans un hémiespace (ex : sur une table à manger – fourchette, pain, etc.). Elle est examinée par l'inspection de l'orientation de la tête et des yeux du patient (regard orienté vers la lésion) et durant des tâches nécessitant d'explorer et d'effectuer des actions simples vers la gauche et la droite du patient. Une épreuve simple de repérage de l'héminégligence consiste en une tâche de barrage de lignes disposées sur une feuille (figure 10.2).

Figure 10.2
Test de barrage de lignes d'Albert.
Ce test nécessite de barrer toutes les lignes disposées sur une feuille A4. Ce patient n'a barré que les lignes sur la moitié droite (et a omis celles de la moitié gauche), ce qui indique une héminégligence gauche sévère.
© Albert ML. A simple test of visual neglect. Neurology 1973 ; 23 : 658-64.
Diagnostic positif
Il repose :
- dans les formes franches, sur l'observation d'une déviation de la tête et des yeux du côté ipsilatéral à la lésion (donc le plus souvent déviation droite) avec une incapacité du sujet à orienter son regard vers le côté controlatéral à la lésion (donc le plus souvent vers le côté gauche) ;
- dans les formes plus équivoques, sur la mise en évidence d'omissions d'informations provenant de l'hémiespace controlatéral à la lésion (le plus souvent du côté gauche), ce qui nécessite l'utilisation de tests. Par exemple un test de barrage montre les omissions des lignes situées à la gauche d'une feuille (cf. figure 10.2) ; le diagnostic nécessite souvent une évaluation spécialisée avec une batterie de tests.
Diagnostic différentiel
Il est quasi inexistant à l'exception de rares déficits de la latéralité du regard observés dans la pathologie de fosse postérieure. L'hémianopsie latérale homonyme, fréquemment associée à l'héminégligence, n'explique pas de telles difficultés dans les situations physiologiques où le flux d'informations optiques est relativement lent (contrairement à la conduite automobile par exemple qui accélère le flux optique).
- L'héminégligence est surtout observée dans les lésions de l'hémisphère droit, notamment en cas de lésion aiguë.
- Les lésions responsables concernent plus fréquemment les régions temporopariétales et, à un moindre degré, les régions frontales et thalamiques.
Au-delà de l'héminégligence, mentionnons brièvement le syndrome de Balint qui réalise un trouble de l'exploration visuospatiale bilatérale ; il associe à des degrés divers trois perturbations :
- le trouble de l'orientation du regard (dont témoigne une errance oculaire spontanée) ;
- l'ataxie optique (perturbant le pointage et le toucher avec le doigt sous contrôle visuel ; par exemple le patient est incapable de venir toucher rapidement l'index de l'examinateur et n'y arrive au mieux qu'après de multiples tâtonnements) ;
- la simultagnosie définie comme l'incapacité à percevoir différents objets présentés simultanément comme pour les couverts sur une table ou de multiples personnes dans une foule.
Il s'observe dans les lésions pariéto-occipitales bilatérales.
Anosognosie
Elle réalise une méconnaissance d'un déficit pourtant franc. De ce fait, le patient ne sollicite pas de soins, voire refuse d'être pris en soins.
Diagnostic positif
En pratique, l'anosognosie s'observe dans deux grandes situations :
- au cours d'une lésion aiguë responsable d'un déficit franc, notamment une hémiplégie, méconnu par le patient qui ne le mentionne pas spontanément (par exemple face à un patient hémiplégique, Examinateur : « pourquoi êtes-vous venu à l'hôpital ? » Patient : « Parce que j'ai fait une chute »). Dans les formes modérées, le patient réalise la présence d'un déficit quand l'examinateur lui demande spécifiquement si son membre fonctionnait normalement ou lui montre que son membre est paralysé. Dans les formes sévères, le patient ne réalise pas la présence du déficit même quand on lui montre que son membre est paralysé. La lésion siège volontiers dans la région temporopariétale droite et il s'agit souvent d'un accident vasculaire cérébral ;
- au cours d'une pathologie chronique où le patient méconnaît ou minimise l'importance de ses difficultés (qui peuvent concerner la mémoire, le comportement, les aptitudes cognitives globales, etc.) malgré la démonstration du déficit par l'examinateur (par exemple en faisant remarquer au patient qu'il n'a pas pu retrouver la date du jour ni le mois ni l'année) ; cette situation se rencontre au cours de lésions frontales (vasculaire, tumorale, etc.) ou de lésions hémisphériques diffuses (affection neurodégénérative, traumatisme crânien grave, etc.).
Diagnostic différentiel
Il n'y a pas de réel diagnostic différentiel et il est surtout nécessaire de s'assurer de la bonne compréhension des consignes. On rappelle que le déni diffère de l'anosognosie par le fait qu'il s'agit d'un refus actif d'admettre une situation qui est pourtant perçue par le patient.
Schéma corporel conscient et hémiasomatognosie
Elle réalise une perturbation du schéma corporel conscient de l'hémicorps controlésionnel, le plus souvent de l'hémicorps gauche puisque ce trouble est habituellement lié à une pathologie de l'hémisphère droit.
Diagnostic positif
Il est affirmé par l'incapacité du patient à désigner et toucher sur commande verbale (Examinateur : « Montrez-moi votre… ») différentes parties de l'hémicorps controlatéral à la lésion comme le pouce, l'index, la main ou le bras, alors que cette épreuve est réussie sur l'hémicorps ipsilatéral à la lésion.
Diagnostic différentiel
Il est quasi inexistant et nécessite de s'assurer de la bonne compréhension des consignes dont témoigne la capacité à l'effectuer sur l'hémicorps gauche.
Diagnostic topographique
L'hémiasomatognosie est le plus souvent observée au cours de lésion aiguë de l'hémisphère droit (chez le droitier) avec une prédominance de la région temporopariétale.
Intégration perceptive et agnosie
L'identification des objets présentés aux organes des sens (ex : un crayon présenté visuellement) dépend bien sûr du fonctionnement des organes des sens (dans cet exemple, l'œil) mais également de la transmission des informations sensorielles aux hémisphères cérébraux où l'ensemble des informations sensorielles est intégré : cette intégration (effectuée au sein des aires sensorielles associatives) permet d'établir une représentation de l'objet (le crayon) et son identification (qui repose sur la confrontation avec un stock d'objets mémorisés). Cette identification est nécessaire pour accéder au nom de l'objet présenté.
L'agnosie réalise un trouble de l'intégration d'informations perceptives perturbant l'identification de l'objet présenté. Ce déficit n'est pas expliqué par un trouble sensoriel élémentaire (comme le montre l'examen visuel, auditif ou de la sensibilité tactile). Les agnosies sont définies par la modalité sensorielle atteinte : agnosie visuelle, auditive ou tactile (ou astéréognosie). Il s'agit de troubles relativement rares dont le diagnostic, évoqué à l'examen clinique, nécessite une évaluation spécialisée avec tests neuropsychologiques. Ils ne sont pas développés dans ce chapitre.
Mémoire et amnésie
Il existe plusieurs types de mémoire avec très schématiquement la mémoire épisodique (mémoire d'épisodes que l'on peut assimiler schématiquement aux évènements vécus par le sujet), sémantique (mémoire des connaissances et du savoir universel), procédurale (mémoire des apprentissages de procédures, notamment motrices) et mémoire de travail permettant le maintien temporaire d'information. La mémorisation d'évènements et son rappel (ex : mon dernier bain de mer) nécessitent typiquement trois étapes :
- l'enregistrement (appelé encodage) de l'information (dans cet exemple, la plage de Dieppe, le temps qu'il y faisait, les personnes présentes, etc.) qui permet la formation d'une trace mnésique ;
- le stockage de l'information (qui sera consolidé avec le temps qui passe) ;
- la récupération de cette information (par exemple en réponse à une question concernant mon dernier bain de mer).
Ces étapes dépendent de plusieurs structures cérébrales parmi lesquelles les circuits hippocampo-mamillo-thalamo-frontaux jouent un rôle primordial. On distingue schématiquement les amnésies par atteinte des processus encodage-stockage où l'utilisation d'indice sur l'information à récupérer n'améliore pas le rappel d'information, des amnésies par atteinte du processus de récupération (surtout liée à la pathologie frontale), où l'utilisation d'indices améliore franchement le rappel d'information.
Les troubles affectant la mémoire épisodique réalisent des oublis des faits et évènements rapportés par le patient ou son entourage. L'interrogatoire du patient et de l'entourage, dont le témoignage est ici essentiel (car il existe souvent une anosognosie) :
- recherche la présence d'oublis dans les activités courantes : rendez-vous, courses à effectuer, suivi d'un livre ou de feuilletons, prise du traitement, actualités, pertes d'affaires, répétition des mêmes questions, etc. ;
- évalue leur retentissement : simple gêne, nécessité et efficacité de l'utilisation d'aide-mémoire, nécessité d'une supervision des activités par un tiers ;
- précise les modalités d'installation, la durée d'évolution, la progression éventuelle ;
- est utilement complété par un test de repérage de troubles cognitifs.
Diagnostic positif
Il repose sur l'observation d'oublis significatifs, c'est-à-dire qui partagent tout ou partie des caractéristiques suivantes :
- souvent répétitifs et gênants dans la vie quotidienne malgré l'utilisation d'aide-mémoire ou nécessitant la supervision par un tiers ;
- prédominant typiquement sur les évènements récents (suivi d'un livre ou de feuilletons, prise du traitement, actualités, etc.) ou à venir (rendez-vous, courses à effectuer, déplacement, etc.).
Dans les déficits majeurs, l'examen clinique peut les observer. Dans les déficits francs, l'atteinte significative d'un test de repérage peut parfois suffire au diagnostic de déficit mnésique. Dans le cas contraire, un avis spécialisé complété d'un test de mémoire et des autres fonctions cognitives est nécessaire au diagnostic.
Parmi les formes cliniques, il est habituel de distinguer :
- l'amnésie antérograde : oubli des évènements survenus après la constitution de l'amnésie (ex : oubli des évènements survenus après le 1er janvier 2022, date de la lésion cérébrale responsable d'amnésie) qui témoigne d'une incapacité à former de nouveaux souvenirs ;
- l'amnésie rétrograde : oubli des évènements survenus avant la constitution de l'amnésie (ex : oubli des évènements survenus en 2021 chez un patient dont la lésion cérébrale responsable d'amnésie date du 1er janvier 2022) qui témoigne d'une incapacité à récupérer des souvenirs anciens ;
- l'amnésie lacunaire : oubli des évènements survenus durant une période donnée, volontiers observée après une confusion, un ictus amnésique ou une crise épileptique focale avec altération de la conscience ;
- l'amnésie liée à un trouble de l'encodage-stockage où les indices ne facilitent pas le rappel de souvenirs, différenciée de l'amnésie liée à un trouble des processus de récupération où les indices facilitent le rappel des souvenirs.
Diagnostic différentiel
L'amnésie doit être différenciée :
- du manque du mot qui constitue un trouble du langage défini par la difficulté à retrouver des noms communs (et non des évènements) ;
- de la désorientation spatiale, où le patient ne reconnaît plus des lieux et/ou itinéraires pourtant connus.
La perte de connaissance, durant laquelle il n'y a pas de mémorisation, ne pose pas de problème de diagnostic différentiel en pratique.
Diagnostic topographique
Les amnésies antérogrades sont principalement liées à une lésion ou dysfonction du circuit hippocampo- mamillo-thalamo-frontal.
Fonctions de contrôle comportemental et de l'action : troubles dysexécutifs
Les fonctions de contrôle du comportement et de l'action sont appelées fonctions exécutives. Elles sont principalement impliquées dans les situations non routinières et sont essentielles pour déduire, planifier, initier, coordonner et enchaîner les séquences d'actions complexes ainsi que pour inhiber les actions non pertinentes et effectuer un raisonnement. Les fonctions exécutives dépendent principalement des lobes frontaux et de certaines structures sous-corticales comme le thalamus et le striatum.
L'interrogatoire recherche certains troubles comportementaux et l'examen repose sur quelques épreuves cliniques. Une évaluation spécialisée complémentaire avec tests neuropsychologiques et questionnaires comportementaux reste fréquemment nécessaire pour le diagnostic et elle est indispensable pour quantifier les troubles dysexécutifs.
Diagnostic positif
Troubles comportementaux dysexécutifs
Leur recherche s'effectue à l'interrogatoire idéalement avec un membre de l'entourage car l'anosognosie (méconnaissance ou sous-estimation du trouble) est habituelle. Leur présence est affirmée en comparant le comportement actuel et antérieur du patient. L'examinateur recherche notamment :
- une apathie caractérisée par une réduction plus ou moins sévère de l'ensemble des activités avec une réduction des mouvements et du discours, une difficulté à achever une activité, un désintérêt, une baisse de motivation et une platitude des affects. Cette perturbation s'observe dans les actes de la vie quotidienne (marche, alimentation, communication, vie relationnelle, etc.). Dans les formes franches (ex : rester assis toute la journée sans bouger ni effectuer d'activité), elle peut être évidente durant la consultation. Les formes majeures réalisent le mutisme akinétique où le patient, souvent alité ou assis, ne communique pas (y compris en réponse aux stimulations verbales et sensorielles) et ne se mobilise pas, en dehors de la préservation d'un suivi oculaire automatique. Le principal diagnostic différentiel est la dépression ;
- une hyperactivité globale avec distractibilité et instabilité psychomotrice avec déambulation ou mouvements posturaux incessants (donnant l'impression de ne pas tenir en place), distractibilité, logorrhée avec digressions, grignotage incessant ou boulimie ;
- les stéréotypies réalisant la répétition inadaptée selon une présentation fixée, invariable, de certains actes, propos ou pensées (ex : « bon, quand est-ce qu'on mange ? »). Le diagnostic différentiel des stéréotypies du syndrome dysexécutif est le trouble obsessionnel-compulsif qui réalise un trouble anxieux ;
- des troubles du comportement social souvent dominés par une désinhibition définie par des propos ou actes inadaptés, déplacés, voire transgressant les règles sociales (ex : passer devant tout le monde au lieu de faire la queue, s'exclamer devant la beauté d'un paysage durant une oraison funèbre).
Réflexe d'agrippement pathologique et comportement d'imitation pathologique
L'examen clinique recherche la présence de réflexe d'agrippement pathologique (également appelé grasping) et d'un comportement d'imitation pathologique :
- le réflexe d'agrippement pathologique se recherche en effleurant la paume ouverte du patient (à effectuer de chaque côté séparément) : il se traduit par une réaction d'agrippement qui, typiquement, augmente quand l'examinateur tente de s'y soustraire. Dans les cas positifs, il est préférable de vérifier que ce réflexe persiste lors d'une deuxième manœuvre après avoir expliqué au patient qu'il n'avait pas besoin d'agripper la main de l'examinateur : l'agrippement est alors considéré comme pathologique. Il n'y a pas de diagnostic différentiel. En cas de doute, il peut être utile de rechercher un réflexe de succion pathologique (aussi appelé sucking) en approchant un objet (non prévu pour l'examen de la bouche) de la bouche du sujet : le réflexe de succion pathologique se traduit par l'ouverture de la bouche du patient donnant l'impression qu'il s'apprête à le sucer (là encore, on considère comme pathologique un sucking persistant après une consigne indiquant au patient qu'il n'a pas besoin de l'effectuer) ;
- le comportement d'imitation pathologique se recherche en effectuant un geste orienté vers le patient (taper dans les mains, se gratter ostensiblement, etc.) en évitant toute situation qui suggérerait que l'examinateur lui demande de l'imiter (éviter de la regarder directement notamment). Le comportement d'imitation pathologique est défini par une imitation du geste de l'examinateur : le patient affirme souvent avoir pensé que l'examinateur souhaitait être imité. Là encore, on considère comme pathologique une imitation persistante après une consigne indiquant au patient qu'il n'a pas besoin de l'effectuer.
L'examen clinique doit être complété par des tests et questionnaires comportementaux.
Diagnostic différentiel
- L'apathie du syndrome dysexécutif doit être distinguée du syndrome dépressif qui est caractérisé par un trouble de l'humeur avec tristesse, idée suicidaire, dévalorisation.
- Les stéréotypies doivent être distinguées du trouble obsessionnel-compulsif qui s'inscrit dans le cadre d'un syndrome anxieux.
Diagnostic topographique
Les troubles dysexécutifs s'observent dans de nombreuses pathologies hémisphériques et sont au premier plan dans les pathologies de la région frontale, ou plus rarement des régions sous-corticofrontales.
- Les fonctions cognitives sont sous-tendues par les structures hémisphériques avec une spécialisation : dominance hémisphérique gauche pour le langage et hémisphérique droite pour l'exploration visuospatiale (chez le droitier).
- L'examen du langage évalue l'expression (interrogatoire, dénomination, répétition de mots) et la compréhension (désignation d'objets, exécution d'ordres) orale. Les troubles différencient la dysarthrie (trouble isolé de l'articulation qui témoigne d'une atteinte motrice ou de la coordination motrice), la dysphonie et l'aphasie (trouble de l'utilisation d'une langue acquise) qui témoigne d'une atteinte de l'hémisphère gauche chez le droitier.
- L'héminégligence visuospatiale réalise un déficit de perception des informations provenant d'un hémiespace (gauche ou droit) et d'orientation des mouvements dirigés vers cet hémiespace. Elle est liée à une lésion de l'hémisphère controlatéral à la lésion et elle est plus fréquente et sévère dans les lésions de l'hémisphère droit.
- L'anosognosie réalise une méconnaissance d'un déficit pourtant franc.
- L'amnésie réalise des oublis des faits et évènements (idéalement recherchés avec un proche) et son diagnostic nécessite souvent un bilan neuropsychologique.
- Les fonctions exécutives concernent le contrôle du comportement et de l'action. Leur diagnostic est évoqué à face à certains troubles comportementaux dysexécutifs (identifiés avec un proche volontiers aidé par un questionnaire) comme l'apathie (réduction de l'ensemble des activités non expliquée par une atteinte élémentaire), l'hyperactivité globale avec distractibilité et instabilité psychomotrice, les stéréotypies (répétition inadaptée fixée de certains actes) et les troubles du comportement social (désinhibition, transgression de règles sociales, perte d'empathie). L'examen clinique recherche un réflexe d'agrippement pathologique (grasping) et un comportement d'imitation pathologique. Le diagnostic nécessite souvent un bilan neuropsychologique.
Voir QRM chapitre 32.