Elisabeth Ruppert et Louise Tyvaert
Obnubilation, stupeur et coma
Les troubles de la vigilance font suite à un dysfonctionnement des systèmes d'éveil avec un continuum entre confusion, obnubilation, stupeur et coma. La vigilance est appréciée à l'anamnèse, à l'observation et à l'examen physique. L'intensité du coma est évaluée par une échelle appropriée, reproductible d'un évaluateur à l'autre (cf. chapitre 16). Le coma est une suspension prolongée de la conscience avec une perte des fonctions de relations (conscience, motricité, sensibilité) et conservation de la vie végétative. Les mécanismes sous-jacents aux troubles de la vigilance sont :
- soit une souffrance cérébrale diffuse avec encéphalopathie métabolique, toxique, infectieuse (« coma non structurel ») ;
- soit une souffrance étendue du cortex cérébral supratentoriel d'origine vasculaire, tumorale, infectieuse (« coma structurel ») ;
- soit une souffrance infratentorielle avec lésion directe de la formation réticulée activatrice ascendante (« coma structurel »).
Examen clinique
Il permet de poser le diagnostic positif du coma et peut également orienter vers une étiologie sous-jacente. Les diagnostics différentiels concernent :
- un état comateux d'origine psychogène qui n'est pas rare : le malade a l'apparence du coma, mais les paupières peuvent offrir une résistance à l'ouverture, des mouvements d'errance oculaire conjuguée peuvent être observés dans toutes les directions du regard et la main du patient, placée au-dessus de son visage, peut éviter ce dernier lorsqu'on la lâche. Parfois l'examen clinique ne permet pas de trancher entre un coma d'origine psychogène et un coma d'origine organique, notamment en l'absence de signe de focalisation net. Les explorations et notamment l'EEG permettent d'orienter le clinicien. Dans le coma d'origine psychogène, l'activité électrique cérébrale est normale à l'opposé des comas d'origine organique ;
- les états stuporeux psychotiques, qui comportent des manifestations d'opposition et une catatonie (maintien prolongé des attitudes imprimées aux membres) ;
- le mutisme akinétique, qui comporte un état d'éveil apparent, mais aucune réponse verbale ou motrice. Les lésions sont bilatérales, dans la profondeur des deux lobes frontaux ;
- le locked-in syndrome (ou verrouillage central), qui comporte un état de coma apparent en lien avec une tétraparésie et une occlusion des paupières par atteinte des nerfs crâniens, mais les réponses à des ordres verbaux mêmes complexes sont possibles, par l'intermédiaire de la verticalité du regard, seule fonction motrice préservée. La conscience est en réalité préservée. La lésion siège dans la partie ventrale du pont.
L'examen clinique évalue en premier lieu les fonctions vitales (fonctions ventilatoire et circulatoire). Il recherche également une fièvre ou une hypothermie, une raideur de la nuque, des signes cutanés (purpura, traces de piqûre au pli du coude), des traces de traumatisme crânien (plaie du cuir chevelu, traces d'otorragie), une odeur anormale de l'haleine (alcool, acétone), une morsure de la langue, un souffle cardiaque, etc.
Examen neurologique
Il comporte différentes dimensions permettant d'appréhender la sévérité du coma et d'orienter vers une étiologie :
- l'examen des réponses motrices aux stimuli douloureux permet, avec celui de la réponse verbale et l'état d'ouverture des yeux, de déterminer le score de Glasgow. Les réponses peuvent être appropriées, inappropriées, symétriques ou asymétriques.
- Une réponse appropriée vise à écarter le stimulus. Elle suppose un certain degré d'intégration corticale et une voie corticospinale fonctionnelle. Une réponse appropriée unilatérale témoigne d'une hémiplégie controlatérale, souvent associée à une hypotonie musculaire.
- Une réponse est inappropriée lorsqu'elle est sans finalité et stéréotypée, souvent associée à une hypertonie musculaire.
- En cas de souffrance hémisphérique diffuse, on observe une décortication avec flexion des membres supérieurs et extension des membres inférieurs.
- En cas de souffrance de la partie haute du tronc cérébral, on observe une décérébration avec extension, abduction et pronation des membres supérieurs – c'est « l'enroulement » – et extension des membres inférieurs.
L'absence de réponse motrice, appropriée ou non, témoigne le plus souvent d'un coma profond ;
- la recherche d'un syndrome méningé associe :
- une raideur de nuque avec flexion automatique des membres inférieurs lors d'une flexion de la tête,
- des céphalées parfois exprimées par un faciès douloureux,
- la présence de vomissements en jets ;
- l'examen des yeux comporte l'examen des pupilles et la motilité oculaire extrinsèque.
- Des pupilles égales et réactives signent l'intégrité du tronc cérébral (lésion hémisphérique, coma toxique ou métabolique). Une mydriase unilatérale aréactive est en faveur d'un engagement temporal. Une mydriase bilatérale aréactive est en faveur d'une lésion mésencéphalique, d'une anoxie cérébrale, d'un coma barbiturique ou d'une hypothermie profonde. Un myosis bilatéral ou pupilles ponctiformes est en faveur d'un coma toxique morphinique ou métabolique ou sur lésion pontique,
- À l'examen de la motilité oculaire extrinsèque, on peut observer des mouvements d'errance conjuguée des yeux qui témoignent de l'intégrité du tronc cérébral. Une déviation oculocéphalique, vers la droite ou vers la gauche, évoque la présence d'une lésion hémisphérique du côté de la déviation (atteinte des centres oculocéphalogyres de l'hémisphère atteint, de sorte que les centres oculocéphalogyres de l'hémisphère sain entraînent la déviation). Une perte du parallélisme des yeux s'observe dans les lésions du tronc cérébral (skew-deviation) ;
- l'étude des réflexes du tronc cérébral évalue :
- le réflexe cornéen : son absence unilatérale, c'est-à-dire une absence de réponse de l'orbiculaire des paupières, témoigne d'une lésion du tronc cérébral,
- le réflexe photomoteur,
- les réflexes oculocéphaliques : ils sont recherchés en l'absence de notion de traumatisme crânien ou cervical, en imprimant des mouvements de rotation ou de flexion/extension de la nuque. Normalement, la déviation oculaire conjuguée s'effectue dans le sens opposé aux mouvements, appelée phénomène des « yeux de poupée ». Leur présence bilatérale signe l'intégrité du tronc cérébral. Leur disparition indique une souffrance sévère du tronc cérébral, lésionnelle ou toxique/métabolique,
- le réflexe oculocardiaque : normalement, la compression des globes oculaires entraîne une bradycardie.
Interrogatoire de l'entourage
L'interrogatoire de l'entourage ou de tout témoin s'attache à recueillir le maximum de renseignements et à retracer l'anamnèse, le contexte et les antécédents du patient.
- L'absence de notion d'un traumatisme crânien récent permet de s'orienter vers un « coma non traumatique ». Il peut faire suite à des maladies pouvant se compliquer d'un coma telles qu'un diabète ou une épilepsie et il faut préciser le traitement habituel du patient.
- La notion d'une affection psychiatrique, et en particulier la présence de tubes de médicaments ou de toxiques près de l'endroit où a été trouvé le malade, peut orienter vers un coma toxique.
- La présence de convulsions peut orienter vers un processus épileptique sous-jacent.
- Un mode d'installation brutal du coma évoque plutôt un AVC ou une intoxication aiguë.
- Un début plus progressif peut orienter vers un coma métabolique.
Syncope et lipothymie
On observe une suspension transitoire de la conscience en cas de syncope correspondant à une perte de connaissance brève et brutale, ou en cas de lipothymie sans réelle perte de connaissance. Elle fait suite à une baisse rapide, diffuse et brève du débit sanguin cérébral (ischémie), quelle qu'en soit la raison, par exemple des troubles du rythme cardiaque ou de la conduction atrioventriculaire ou une bradycardie réflexe. La perte de conscience est souvent brève, l'épisode n'excédant pas 2 ou 3 minutes, et le sujet reprend une conscience claire très rapidement sur le lieu de l'événement. Ainsi le premier souvenir du patient à son réveil est en règle sur le lieu du malaise. Il n'existe pas d'amnésie post-critique. Le médecin est souvent amené à intervenir à la fin de l'épisode ou à distance de ce dernier alors que le patient a recouvré une conscience normale. Il s'appuie alors entièrement sur l'anamnèse du patient et de son entourage pour affirmer la perte de connaissance et orienter le diagnostic étiologique.
Selon la cause, le début peut être extrêmement soudain, avec éventuellement une chute traumatisante avec morsure de la pointe de la langue, ou au contraire progressif, avec une phase dite prodromique, faite d'une lipothymie. Le sujet est hypotonique et pâle, la pâleur traduisant l'ischémie diffuse de l'extrémité céphalique. Une perte des urines et même des matières fécales peut survenir. Parfois se produisent quelques secousses myocloniques, peu nombreuses et non soutenues survenant après la phase d'hypotonie, il s'agit alors d'une syncope convulsivante. Lors de la phase prodromale, dans le cadre d'une lipothymie, le patient peut ressentir des sensations vertigineuses, des acouphènes, une vue brouillée, des jambes flageolantes et une impression de « partir », de « tomber dans les pommes ». La lipothymie peut se résoudre en particulier si le sujet s'allonge ou est allongé, les jambes surélevées, ce qui favorise la revascularisation cérébrale mécaniquement, ou bien peut être suivie d'une syncope si l'hypoperfusion cérébrale persiste.
- Les mécanismes sous-jacents aux troubles de la vigilance peuvent être non structurels avec souffrance cérébrale diffuse, structurels avec souffrance étendue du cortex cérébral supratentoriel, ou structurels avec souffrance infratentorielle.
- L'examen clinique permet de poser le diagnostic positif du coma et peut également orienter vers une étiologie sous-jacente et recherche des diagnostics différentiels.
- L'examen neurologique concerne les réponses motrices aux stimuli douloureux, la recherche d'un syndrome méningé, l'étude de l'oculomotricité extrinsèque et intrinsèque et l'étude des réflexes du tronc cérébral.
- La syncope correspond à une perte de connaissance brève et brutale. La lipothymie n'est pas accompagnée de réelle perte de connaissance, mais elle peut être prodromale d'une syncope.
Voir QRM chapitre 32.